Forum Heroes' Chronicles

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L'histoire ne se déroulant plus dans l'Auberge, et n'ayant à vrai dire rien à y faire, pompom pompom, la suite se déroule ici!
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- Alors c'est donc ça, la... la vie...

Glorfindel était maintenant debout, et toisait Shandra, plus affaiblie que jamais. Le décor avait changé; ils n'étaient plus dans l'auberge.

Où que se porte le regard, on ne voyait que du sable, des plaines et des dunes de sable doré à perte de vue. Un soleil rouge brillait dans un ciel blanc. Un observateur attentif, à l'oeil très aiguisé, aurait pu apercevoir à l'horizon une masse sombre et mouvante, comme une armée en marche... ou d'innombrables esclaves à la tâche.

- Tu as cru me détruire, l'autre soir. Nul ne se met impunément en travers du chemin d'un Warde! Tant pis pour toi.

Il leva le bras, et son poing prit la forme d'une gigantesque masse d'armes, toute de chair et d'os.

- Mais où..., commença Shandra, l'esprit en déroute.

Le choc du poing formidable de son adversaire coupa le reste de la question et l'elfe fut littéralement arrachée du sol et envoyée droit vers un rocher roux qui dépassait du sable à plusieurs mètres de là. Mais, au lieu de s'écraser contre la paroi verticale de la grande dent de pierre rongée par le vent et chauffée à blanc par le soleil impitoyable, Shandra se reçut sur ses pieds, ramassée comme un fauve. Le contact de ses semelles sur le roc souleva des volutes de brume noire.

- Qu'est-ce que tu cherches ? grinça l'elfe, toujours figée dans cette attitude incroyable, ses vêtements flottants s'agitant autour d'elle tels des des flammes sombres. Tu veux mesurer juqu'à quel point j'ai pu prendre le contrôle du pouvoir que tu étais censé garder de l'autre côté ? C'est ça ? Alors qu'en dis-tu ?

Pour toute réponse, le warde frappa le rocher qui se fissura à l'endroit précis où elle se tenait une fraction de seconde auparavant. Shandra avait déjà bondi de côté, se jouant de la pesanteur. Mais si rapide qu'elle fusse, son ennemi parvint à la renvoyer au sol d'un revers de bras...
La bouche pleine de sable et de sang, elle cracha par terre et toussa une ou deux fois, la respiration sifflante, puis se redressa.
Déjà, elle rassemblait les dernières parcelles de mana qu'elle avait réussi à soustraire au warde lors de sa tentative pour réanimer Glorfindel. Glorfindel... ce rappel brutal fit s'éteindre les flammes au bout de ses doigts dans un grésillement.
Où était-il ? Ce qu'elle avait en face d'elle n'était que son corps, odieusement parasité par la sentinelle des profondeurs... si elle détruisait cette enveloppe...

- Non, je ne peux pas faire ça...

Un peu nauséeuse, l'elfe recula en trébuchant dans le sable brûlant...

Shandra avait posé sa question d'un ton de défi. Le Warde ne fit qu'en rire; il répondit dédaigneusement:

- Mesurer? Et mesurer quoi, jeune imbécile? Que tu aies pu prendre le contrôle d'une infime partie de la Faille, cela m'importe peu. Car... Tu vas mourir, tu le sais?

Petite finesse, dont le Warde se délecta. Il connaissait tout du passé de son adversaire, et tenait à le lui montrer. Shandra, elle, ne savait rien de lui...

- Tu vas mourir, car quel que soit le pouvoir que tu aies pu acquérir de l'autre côté, il n'est rien en comparaison avec ce que j'ai corrompu de ce côté-ci... Nous sommes encore dans le monde des vivants, ma chère! Et ceci est mon royaume.

Il étendit le bras.

- Tu vois, là-bas, la masse sombre? On dirait un océan bourbeux, un immense marais bouillonnant... Ce sont mes esclaves! Des présomptueux comme toi, qui m'ont défié; des serviteurs qui m'ont trahi; et même de pauvres gens qui ont eu le malheur de se trouver sur mon chemin.

Tout en parlant, il ne quittait pas des yeux son interlocutrice.

- Tous ceux qui se sont dressés contre moi sont maintenant mes esclaves! Tous... sauf toi. Trop dangereuse, trop indépendante, pas assez... maléable. La mort est la seule solution.

Il commença une incantation, et s'arrêta au bout de quelques secondes.

- Ne t'inquiète pas, j'enverrai bientôt l'esprit de ce cher Glorfindel te rejoindre! Une fois que j'en aurai tiré ce que je veux, il sera méconnaissable, corrompu à jamais. Il est tellement impulsif que c'est un plaisir de le manipuler!

Il sentait la haine de Shandra grandir d'instant en instant, et s'en amusait.

Shandra se figea en entendant les paroles du warde.

Non, il y avait quelque chose qui clochait dans tout ça. C'était trop...

L'elfe secoua la tête en réprimant une grimace : ses pensées s'entrechoquaient comme les galets au fond d'un torrent. Impossible de les aligner bout à bout pour réfléchir correctement. Par contre, une solution à un problème plus immédiat s'imposait...

Reprenant son calme, Shandra laissa fuser un rire cynique.

- Moi ? Mourir ? Allons bon, la belle affaire ! Du moment que tu n'espères pas me voir trembler à cette idée... mais puique tu me connais si bien, tu dois bien savoir ce que j'en pense, non ?

Tout en raillant le warde elle fouillait à toute allure dans les tréfonds de son esprit, et plus précisément là où se trouvaient soigneusement enfermés les souvenirs volés au seigneur noir qui avait été défait dans les montagnes près de la forteresse de Celdric. Son adversaire connaissait peut-être ses limites, mais que savait-il exactement de celles du mort-vivant ? Il lui fallait quelque chose pour fuir, gagner un peu de temps... sa propre énergie magique était quasi réduite à rien, et celle qu'elle pouvait tirer de la faille était instable, trop puissante pour qu'elle puisse la contrôler dans cet état... Il lui fallait un sortilège bien particulier... Ah !

- Cependant, il se trouve que mourir ne faisait pas partie de mes projets pour la journée...

Shandra se détourna à-demi et fit un geste de la main vers l'horizon. Un grondement sourd commença à monter des entrailles de la terre puis une des dunes se souleva brusquement telle une vague poussée par le vent sur un océan en furie. L'elfe adressa un sourire au warde.

- A plus tard !

Et elle bondit dans les airs.
Son manteau se déploya, l'enveloppant un instant, avant de prendre la forme d'un oiseau de proie semblable à un gerfaut de grande taille. Avec un sifflement qui avait la sonorité d'un rire de défi, le rapace s'éleva au-dessus de la vague de sable qui engloutit le warde. Puis il fila à tire-d'aile vers la masse sombre au loin...

Au bout de quelques minutes, un frémissement parcourut la masse de sable. Un bras en jaillit, et le Warde sortit tout entier de la lourde vague qui l'avait englouti. Flottant légèrement au-dessus du sol, il se débarassa de la poussière qui couvrait ses vêtements.

- Où a-t-elle pu puiser les ressources nécessaires pour...

Scrutant le ciel, il vit un point noir qui allait en rétrécissant, vers l'Ouest, là ou le soleil rouge plongeait dans la terre dorée. Là, ses innombrables esclaves trimaient sans cesse, à un rythme infernal. La plupart ne rêvaient que de vengeance, et c'est ce qui les maintenaient en vie.

- Est-ce que cette petite peste aurait l'idée de ruiner mon oeuvre?

Le Warde souriait intérieurement.

- Elle ne sait pas ce qui l'attend... Si elle a pu m'avoir par surprise, il n'en sera pas de même avec mes gardes.

Des gardes... En effet, la gigantesque cité des esclaves était bien surveillée. Non pas par de ces gardes qui ont besoins de murs solides pour y patrouiller, ni même de ceux qui se font plus discrets, observateurs silencieux et invisibles... Non, ces gardes-là étaient bien pires.

- Rappelées du néant, de la Nuit Originelle... Mes Harpies!

Créatures invisibles, impalpables, indescriptibles, elles gardaient les esclaves dans la cité, et il n'y avait pas salut pour quiconque tentait d'entrer ou de sortir sans la permission de leur maître. Les Harpies s'accrochaient à l'esprit de tout intrus, et le torturaient jusqu'à la folie.

- Repérée...

Le Warde avait senti l'excitation des Harpies. L'une d'elles s'était attachée à sa proie, et les autres étaient retournées surveiller la cité, et hanter les nuits des esclaves, les entretenant dans une peur plus grande que leur haine.

- La plus puissante, la plus ancienne émotion des enfants d'Iluvatar, la peur! Même les demi-êtres comme les Eltherith y sont vulnérables. Bonne nuit, ma chère...

Il retomba au sol.

- Finalement, je crois que je ne te tuerai pas tout de suite. Tu as voulu me défier! Je prendrai un certain plaisir à te voir souffrir. Mes Harpies savent s'y prendre, tu le verras bien vite!

Ce disant, il éclata d'un rire tonitruant, et se mit en marche vers la cité.

Il aimait marcher dans ce désert; il prenait plaisir à sentir le sable, encore brûlant, griller les pieds de ceux qu'il manipulait. Et la nuit, le désert était différent; un parfum de mystère l'enveloppait, et chaque dune cachait un danger. Ce goût immodéré du danger, il le cultivait, et c'est ce qui l'avait rendu si puissant.

Au bout d'un moment, il eut un rire cruel.

- Tout de même, la pauvre...

Des ombres, du feu, du sang...
Shandra rouvrit brusquement les yeux, haletante, les cheveux collés au front par la sueur. D'un revers de main elle repoussa les mèches ternes et poussiéreuses qui lui tombaient dans les yeux puis se frotta les paupières avant de s'asseoir. La tête lui tournait et le sang lui battait aux tempes comme un tambour obsédant.

Un pinceau de lumière léchait l'entrée de la caverne... le soleil s'était déjà levé. L'elfe avait dormi plus longtemps qu'elle ne l'aurait voulu, mais la nuit ne lui avait guère apporté de repos : son sommeil fiévreux avait été émaillé de cauchemars.

Encore étourdie, elle se leva et sortit d'une démarche incertaine.
Ce n'était que le petit matin, pourtant les dunes étaient déjà transformées en fournaise.
Une main en visière, Shandra évalua la distance qui lui restait à parcourir jusqu'à la cité. Cela représentait plusieurs heures de marche... Mais les Eltheriths avaient autrefois régné sur un désert semblable à celui-ci. Tous leurs descendants étaient aussi à leur aise dans les immensités arides écrasées de soleil que dans l'ombre protectrice des forêts.

Elle se mit donc en route, non sans jeter de fréquents regard alentours afin de vérifier qu'elle n'était pas suivie. Plus elle s'approchait des faubourgs dont la rumeur enflait, annonciatrice d'une activité frénétique, plus la sensation d'être observée la taraudait...

L'elfe se détourna d'un bond, persuadée d'avoir entendu le sable craquer sous le poids de quelque chose. Cependant il n'y avait rien. Aucune empreinte sur les dunes. Aucune cachette possible.
Elle fit quelques pas avant de pivoter à nouveau. Toujours rien. Pourtant elle sentait quelque chose !

- Est-ce que je suis en train de perdre l'esprit ?

Elle secoua la tête avant de repartir. Soudain quelque chose lui saisit brusquement les chevilles, l'empêchant d'avancer. Shandra baissa les yeux et laissa échapper un cri étranglé : ces serres blanchâtres qui sortaient du sable, c'étaient... des mains, des mains de squelette. Une voix étouffée mais bien reconnaissable monta des tréfonds du sol avec un ricanement :

- Viens, viens donc me rejoindre, mon enfant ! Ma fille... ma chair, mon sang... rends-les moi !

Shandra tenta de se dégager mais bascula en arrière. Aussitôt, deux autres mains griffues jaillirent pour se refermer sur son cou.

- Ton père a raison, ma Shan, ma bien aimée. Viens avec nous, la mort est si reposante...

L'elfe se sentait irrésistiblement tirée vers le bas... Elle se mit à hurler, à se débattre avec furie. Elle réussit à se dégager, ne parvenant qu'à retomber au sol quelques mètres plus loin, au bord de l'évanouissement. La vision trouble, elle regarda l'endroit où étaient sorties les serres squelettiques. Il n'y avait rien d'autre que ses propres traces de lutte.

- C'est dans ma tête... Ce ne sont que les produits de mon imagination...

Sur ce constat, Shandra perdit conscience.

Cela commença par un reflet rougeoyant à l’Est, dans la brume qui flottait au-dessus de la cité. Puis le reflet gagna en intensité, et devint rouge sang, emplissant toute la ligne d’horizon. Une sphère de feu se découpa bientôt au milieu des lambeaux de nuages, puis se détacha du sol, en une explosion de violente lumière. Le ciel tout entier s’embrasa.

Arien se levait.

Du haut de sa tour, au milieu de la cité, le Warde contemplait le spectacle.

- Ici, même le pouvoir des Maïar n’a plus cours... J’ai corrompu Arien, et sa lumière en ces lieux n’en est que plus douce à mes yeux!

Il était parvenu dans la nuit jusqu’à la cité, et s’était délecté des déboires nocturnes de son ennemie, prenant un malin plaisir à faire prendre à ses cauchemars la forme de ceux qu’elle avait aimé.

- Les Harpies sont redoutables, mais elles ne savent pas sonder les cœurs. Leurs armes sont toujours les mêmes, les plus anciennes frayeurs de l’être pensant, l’inconnu, l’oppression, l’ombre, le néant de l’âme... Ces armes-là n’ont pas prise sur elle. Il lui fallait quelque chose de plus... ciblé!

Avec un rire mauvais, il détourna le regard du ciel maintenant clair, et se mit à penser à la suite des évènements.

En bas, l’immense cité finissait de s’éveiller. Les ordres des contremaîtres, les plaintes des esclaves, les cris de rage des manieurs de fouets, les hurlements de douleur des corps décharnés... Depuis des années, le sable du désert disparaissait dans les profondeurs de la cité, englouti par des fourneaux gigantesques. Et dans de grandes bâtisses, des penseurs, des savants travaillaient sans relâche.

- L’arme, l’instrument de destruction ultime! Le Monde des Vivants va connaître la puissance de la Soleil, et le Monde d’En-Dessous regrettera amèrement de m’avoir chassé.




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Comme quoi ça sert, de pas pioncer dans le train! Merci au Soleil, qui a eu la courtoisie de se lever pendant que j’écrivais. J’ai basé tout le 1er paragraphe là-dessus, ou presque... Dommage que l’horizon finisse par pâlir, c’était beau, les fins nuages tout en rouge ! Surtout au début, on aurait dit une brume fantastique montant à l’assaut de monticules rocheux.
Petit plaisir matinal.
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Une impression de fraîcheur... quelque chose qui coulait sur son front...

Shandra rouvrit les yeux sur un toit de toile brunâtre percée de trous qui laissaient passer la lueur sanglante du soleil. Le vent agitait le tissu grossier qui crépitait sous les volées de sable, faisant osciller les piquets de soutien où tintaient quelques écuelles cabossées accrochées tant bien que mal à un clou. Un des côtés de la tente était fermé par un mur de terre sèche creusé de petites niches servant d'étagères. Le sol était caché par un matelas de lambeaux d'étoffes fânées.

A nouveau, l'elfe sentit la caresse de l'eau sur sa peau brûlante. Elle tourna la tête pour voir qui manait ce linge humide. Un vieillard maigre aux traits burinés, grillés par le désert, lui renvoya un regard bleu pâle dépourvu d'éclat.

- Qui...
- Chut. Ne pose pas cette question : elle pourrait entendre ma réponse et la lui rapporter...

"Elle" ? Shandra balaya la tente du regard pour vérifier qu'ils étaient bien seuls. Est-ce que cet homme avait toute sa tête ?
Sans faire attention à son expression de doute, le vieillard poursuivit :
- Tu la portes depuis longtemps ?
- Mais quoi ?
- La harpie.
- Une harpie ?

L'homme s'assit sur ses talons et fronça les sourcils.

- Tu viens d'arriver, c'est ça ? Je voudrais savoir depuis combien de temps tu as l'impression de marcher dans un cauchemar éveillé, si tu préfères.
- Je...

Shandra se massa les tempes.
Etait-elle restée inconsciente longtemps ? Des heures... des jours ? Elle évalua la hauteur de l'astre dans le ciel à travers le toit de tissu avant de répondre :
- Une journée... enfin je crois.
- Une journée ? Non, tu dois faire erreur : quelques minutes suffisent à rendre n'importe qui à demi fou. Tu as dû perdre la notion du temps... Quand une de ces créatures infernales s'accroche sur quelqu'un, chaque instant de torture semble durer une éternité... comme si cela n'allait jamais finir.

Le visage creusé du vieillard se tordit en une grimace. Il vit l'elfe s'asseoir avec une profonde stupeur.

- Elle t'a donc relâchée ?

Shandra secoua la tête. Non, la chose qui lui lacérait l'esprit n'était pas partie, bien au contraire : un bourdonnement lui emplissait les oreilles et sa vision commençait à se faire trouble. Il fallait qu'elle réfléchisse vite, tant qu'elle était encore assez lucide pour trouver une solution.

- Ces... harpies ont donc prise sur l'esprit des gens ? C'est pour cela que je n'ai plus rien ressenti après avoir perdu conscience ?
- Oui, mais...

L'elfe ferma les yeux. La créature s'agrippait à l'esprit de Shandra... elle devait donc se retirer autant que possible dans une zone plus protégée... dans les restes d'un esprit étranger. Ces bribes suffiraient à atténuer l'action de la harpie. Elles étaient trop fragiles pour qu'elle perde le contrôle sur elle-même, mais d'un autre côté ce "contrôle", cet ancrage dans sa personnalité normale, resterait justement une prise solide pour le parasite.
Du temps, cela lui permettrait de gagner encore du temps. Alors cela lui convenait.

Un frémissement la secoua et elle releva les paupières.
L'homme qui l'avait recueillie tressaillit en croisant son regard devenu gris argent.

- Maintenant, j'aimerais vous poser quelques question au sujet de votre maître... car il s'agit bien de votre maître, n'est-ce pas ?

Au beau milieu de la journée, la cité avait perdu son agitation de la matinée. Environ la moitié des esclaves était partie dans le désert, charger de sable les citernes d'acier qui, une fois pleines, seraient traînées jusqu'à la cité par de grands Trolls sauvages. Là, le sable serait déversé dans les fourneaux du sous-sol.

L'autre moitié des esclaves était chargée du fonctionnement des fourneaux. Il n'était pas rare que l'un d'entre eux reçoive un jet de liquide brûlant, ou bien se consume en passant trop près d'un des brasiers qui dégageaient en permanence une chaleur infernale. D'énormes cuves, rougies par les flammes, recevaient le sable venu d'en haut.

Plus loin, la pâte formée était coulée dans de grands moules, de forme circulaire. D'autres esclaves, en plus petit nombre, donnaient à la surface encore brûlante une forme bombée. Une fois que l'immense pièce, devenue translucide, était prête, elle était démoulée, polie, cerclée d'acier noir, et montée dans un appareil lui permettant de pivoter dans toutes les directions.

Les esclaves et les contremaîtres avaient l'habitude de voir passer leur maître, petite créature d'apparence fragile, drapé dans un manteau noir qui ne laissait voir que deux yeux blancs. Mais ils n'avaient jamais vu ce qui venait de passer les portes de la salle des fourneaux!

- Eh bien quoi? siffla le nouveau venu d'une voix qui leur était tristement familière. Je n'ai de comptes à rendre à personne sur mon apparence!

L'Elfe aux cheveux blancs qui venait de prononcer ces paroles parcourut les allées, du pas mesuré que tous avaient appris à reconnaître, et à craindre. L'esclave qui entendait ce pas accélérer dans sa direction pouvait se préparer à une mort rapide.

Le Warde traversa la salle des fourneaux, la salle de refroidissement, l'atelier de polissage (où les esclaves, étant devenus sourds, ne l'avaient pas entendu arriver), et remonta à la surface, pour déboucher dans les vastes pièces où ses savants faisaient leurs recherches. Enfin, il remonta dans sa tour, et observa le Nord de la cité.

- Bien, bien... Mes armes seront bientôt prêtes, et les armées des Vivants trembleront devant moi! Car j'apporte la terreur des ombres et le feu du ciel.

À quelque distance de la cité, un intense rayon lumineux apparaissait de temps en temps, et le désert paraissait s'embraser à l'endroit où le rayon touchait le sable.

Une ombre parcourait le désert depuis des heures, semblant chercher quelque chose... Approchant de la tente où Shandra discutait avec le vieillard, elle s'y engouffra.

- Shan...

Un murmure, un souffle, qui se perdit dans le bruit du vent.

- Shan...

Mais Shandra n'entendait rien. Shandra était entièrement absorbée par sa discussion avec l'ermite. Shandra, dont les yeux avaient pris une teinte gris argenté.

- Plus tard... Oui, plus tard, elle m'entendra. Peut-être...

Et l'ombre disparut.

Shandra sursauta et jeta un regard par-dessus son épaule. Elle aurait juré avoir entendu quelque chose...

- Encore un tour de la harpie...

Elle referma un peu plus son esprit avant de se retourner vers le vieillard qui avait l'air tendu. Il inspira profondément avant de répondre à sa question, se forçant visiblement à parler à voix basse :
- Cette... chose n'est pas mon "maître" ! Elle n'est le maître de personne, ici...

Sur cette déclaration, les yeux de l'homme prirent un éclat plus vif. En fait, ce n'était pas un patriarche tordu par le poids des ans : c'était un homme dans la force de l'âge décharné, brisé par la peur permanente et les privations... Mais ce fut juste une lueur qui s'éteignit aussitôt. D'une voix lasse, il acheva :
- Ce n'est que notre geôlier, notre tyran... notre vainqueur.
- Mais que savez-vous de lui ?

Il frémit à cette demande.

- Tout ce qu'il y a à savoir sur lui, c'est qu'il ne faut pas tenter de lui résister, sous peine d'être écrasé sans la moindre once de pitié !

Shandra fronça les sourcils, réfléchissant tout haut :
- Il a l'aura d'un warde, il en possède les pouvoirs, mais... il y a quelque chose qui ne cadre pas : un tyran, un despote cruel... Il faut être capable d'éprouver des sentiments pour être cela. Or les wardes ne sont que des outils sans âme...
- C'est un garde déchu, un exilé des profondeurs. Ces sentiments, il les a vu se développer en même temps que s'allongeait la liste de ses victimes. Au départ, il ne tuait que pour prolonger sa vie en surface, puis il a commencé à le faire par plaisir, et là...
- Vous savez ce que sont les wardes ? Mais alors...
- J'ai été mage, autrefois. J'avais étudié sous la houlette d'un vieux sage qui m'avait collé de force le nez dans de vieux grimoires remplis d'histoires que je prenais pour des légendes... jusqu'au jour où j'ai vu surgir une de ces créatures imaginaires devant moi.
- Mais alors pourquoi ne tentez-vous pas de fuir ?
- Fuir ?

Le mage eut un rire amer.

- Mais pour aller où ? Tout autour de cette cité, il n'y a que du sable, du sable à perte de vue, sur des centaines et des centaines de milles ! Et puis il y a les harpies. Elles tournent au-dessus de la ville, invisibles mais bien présentes. La révolte, la colère...la peur... elles s'en nourrissent. D'ailleurs elles...

Le mugissement sourd d'une trompe résonna au loin.

- Il est l'heure des citernes, murmura l'homme, les épaules subitement afaissées, comme s'il peinait déjà sous une charge trop lourde pour lui. Je... il faut que j'y aille. Et vous devriez venir aussi. Les harpies patrouillent dans les baraquements et les rues pendant la journée, à la recherche de ceux qui refuseraient de travailler.

Il se leva et jeta un manteau à capuche poussiéreux et déchiré sur ses épaules maigres, avant d'en tendre un autre à Shandra.

- Mieux vaut ne pas rester ici, croyez-moi.

L'elfe hésita puis accepta le vêtement et sortit dans la rue à sa suite, pour se mêler dans la foule des esclaves qui quittait la cité.

- Maître, elle est ici...

- Ici, dans ma cité? Je dois reconnaître qu'elle ne manque pas de courage... À moins que ce ne soit de l'inconscience. Oui, je reconnais bien la folle témérité des Eltherith. Je l'aurais crue plus réfléchie que ses ancètres.

- Notre soeur a échoué. Une partie de l'esprit de l'intruse lui est fermé.

- Intéressant. Je crois que je vais prendre du plaisir à la détruire, petit à petit... Comment est-elle entrée ici?

- Nous ne savons pas, maître. Mais elle a été recueillie par un des esclaves.

- Un esclave? Lequel?

- Nous l'ignorons... Il s'est mêlé à la masse, et l'intruse est avec elle. Notre soeur aussi, et nous ne tarderons pas à savoir où ils se cachent.

- Menez ma garde. Trouvez-les, et tuez l'esclave. Arrangez-vous pour que l'Elfe se rende sur le champ de tir.

La Harpie se retira. Resté seul, le Warde se leva, et alla parler à l'un des chercheurs.

- Suspendez les essais jusqu'à nouvel ordre.

Le vieillard le regarda d'un oeil sec, et un rictus sadique tordit les rides de son visage.

- Une nouvelle cible, monseigneur?

- Cela se pourrait bien.

La foule s'écoulait lentement dans les rues étroites, passant sous des ponts de fortune en bois qui reliaient parfois les plus hautes des constructions de torchis.
Personne ne se parlait, ou ne regardait seulement ses voisins. Chacun suivait le mouvement, le pas traînant, la mine hagarde...
Shandra observait tout cela par-dessous l'anonymat protectrice de sa capuche. Ses yeux pâles restaient froids, mais ses mâchoires s'étaient légèrement crispées.

Enfin, ils franchirent la grande arche de pierre entre deux tours jumelles qui marquait la limite sud de la ville.
De grands trolls sauvages se joignirent au cortège, halant de lourds chariots surmontés de vastes cuves de métal. De temps à autre, l'un d'eux émettait une plainte sourde, membraneuse, sous le fouet d'un des contre-maîtres perchés sur les véhicules. Et parfois, la lanière avait la fantaisie de claquer entre les épaules osseuses d'un des esclaves qui marchaient à côté...

Le convoi s'enfonçait dans le désert, soulevant un nuage de poussière rousse.

Enfin, la colonne s'immobilisa.
Dans la vague confusion qui s'ensuivit, Shandra se rapprocha de son sauveur.

- Mais que faites-vous, ici ? A quoi servent ces... citernes ?
- C'est pour le sable. Ce fichu sable qui s'insinue partout et nous grince sous la dent jusque sur notre paillasse... Après, il est envoyé dans les fourneaux, et ensuite... ça donne ça.

D'un mouvement de tête, il indiqua l'endroit d'où jaillissaient spasmodiquement des rayons de lumière aveuglante.

- Des miroirs, des lentilles de verre... toute une machinerie qui forme l'arme ultime du warde. Plus besoin de magie, une source d'énergie illimitée...

L'homme jeta un regard accusateur vers le soleil rouge qui brûlait de tous ses feux dans le ciel livide, avant de se diriger vers un des chariots.
Shandra resta un peu en arrière, occupée à examiner les étranges appareils qui luisaient au loin. Ils avaient cessé de darder leurs traits de feu. Enfin, elle se retourna vers la citerne la plus proche.

La masse des esclaves s'agitait... comme si quelque chose d'invisible se frayait à toute vitesse un passage au coeur de la foule... quelque chose qui fonçait droit dans sa direction !
Et les prisonniers au service du warde qui lui bloquaient le passage sans comprendre...

L'elfe joua des coudes jusqu'au chariot et fit un geste de la main vers le troll qui somnolait dans les brancards, à demi assomé par la chaleur ambiante. Il parut brusquement se réveiller, et pour cause : l'espèce de pagne qui lui ceignait les reins venait de s'enflammer. Avec un rugissement, le troll se mit à battre des bras, à tourner sur-lui même... provoquant un mouvement de panique général.
Se glissant le long du véhicule, Shandra se faufila dans la direction opposée...