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CHAPITRE 20 : Le jeu à cinq, incomplet
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Cette caverne, bien que son dôme était immense, commençait à porter sur les nerfs. Cela faisait déjà 2 semaines que j'y étais enfermée avec pour seule compagnie dans ce silence obscur un éventuel bruissement d'épines. Mais rarement.
Trop rarement.
Je voyais les ombres raccourcir puis s'allonger au fil des heures. Le sapin noir, lui ne bougeait pas, jamais. Droit et fier, sa cîme approchait et profitait d'un coin de ciel ensoleillé, alors que moi je restais là, plantée seule au milieu de la poussière et de quelques pauvres brins d'herbe. Je dormais près de l'arbre majestueux puis je me suis rendue compte que l'eau qui coulait près de lui ne faisait pas de bruit non plus : juste un petit filet tranquille et continu, comme s'il était éternel.
Eternellement ennuyeux.
Dès que les prêtres sont repartis en me laissant des vivres pour des semaines (cela m'avait fait sourire au début, après beaucoup moins), j'ai touché l'écorce de l'arbre, attendant qu'il se produise quelque chose. J'ai essayé 10 fois par jour, 20 fois par heure. J'en étais même réduit à somnoler bêtement contre lui mais il ne se passait toujours rien. Finalement, ce n'était qu'un arbre comme les autres, noir, triste et moche !
Vraiment nul.
A la quatrième semaine (je crois, j'en avais assez de compter les jours), j'ai cherché désespérement à sortir de ce trou car la pierre immense de l'entrée refusait de bouger. A la cinquième semaine, je m'étais tellement écorchée les doigts en essayant de faire rouler la monstrueuse pierre de ce tombeau et à grimper sur ce fichu sapin noir que j'avais presque du mal à tenir quoi que ce soit dans mes mains. J'ai alors commencé à avoir peur.
Peur de mourrir là. Seule.
Et puis j'ai fait ce songe. J'ai vu une grande table ronde, en bois avec 5 petits tas tout autour. Chaque tas était composé de petites pièces de forme différentes. Les 4 prêtres sont venus se placer chacun devant un petit tas et commencer à en assembler les pièces. Chacun dans son coin, sans dire un mot. J'ai compris (je ne sais pas trop comment) qu'ils cherchaient tous à reconstituer un carré. Parfois, l'un des prêtres glissait l'une de ses pièces à son voisin, toujours sans lui adresser un mot. A force d'échanges muets, deux d'entre eux ont pu construire leur carré. Mais les deux autres n'y sont jamais parvenus.
A compter de ce jour, j'ai fait ce songe des dizaines de fois. Chaque fois que je fermais les yeux, je les voyais chercher à construire leurs carrés.
En vain.
J'ai fini par connaître le dessin des pièces par coeur et je cherchais obstinément la solution. J'en devenais malade. Si je ne rêvais pas des prêtres autur de la table, je cherchais à reconstituer leurs carrés à partir des 4 petits tas que je voyais étalés en songe. Epuisée, je suis allé boire et me suis appuyée à l'arbre...
AAAAH ! Quel choc ! La lumière fut aussi forte et aussi brutale que si le soleil avait explosé à côté de moi ! L'arbre majestueux me parlait, enfin. Mais pas comme les autres. Avec une force incomparable, des images défilaient et imprégnaient tout mon être à une vitesse inimaginable. J'étais dépassée, submergée, surpassée, écrasée. Anéantie.
Combien de temps cela a t-il pu durer ? Des heures sûrement tant la douleur dans mon crâne m'a paru longue et forte. Je sentais que je n'étais plus rien qu'une petite chose infime, dans l'infini de la puissance de l'arbre majestueux. Dans l'immensité de la magie du monde. Un grain de poussière qui ne savait même pas voler.
Moins qu'une misère, moins qu'un insecte. Rien de rien.
Et puis ce minuscule petit grain ridicule s'est installé à la table, devant le cinquième petit tas pour en manipuler les pièces que je ne connaissais pas et faire des échanges avec les prêtres.
Quand je me suis réveillée, j'étais dehors. Seule, dans un lieu que je n'avais jamais vu.
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[HRP : ce jeu existe vraiment, il est utilisé par les professionnels du team building pour former les cadres à l'esprit d'équipe]