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 Sujet du message: Syhl, guerrière humaine - Mémoires d'une diplomate
MessagePublié: Sam 02 Août, 2008 12:59 
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Je poste ici le récit de la vie de mon personnage. Certains l'ont déja lu sur la Place Publique, mais tous n'en ayant pas l'accès, je le remets sur le forum général.

Concernant les personnages qui apparaîtront tout au long de ce récit:
- soit ces personnes existent bel et bien, et figurent dans le texte avec l'accord de leur charmant propriétaire;
- soit ces personnes n'existent pas, parce que ce sont des personnages inventés de toute pièce pour la narration.

Il se peut que des personnages existants apparaissent sans le consentement de leur propriétaire, pour la simple et bonne raison qu'ils n'existent plus (reroll, multi-comptes gelés, hibernation longue etc...), m'empêchant de les contacter
Si des personnes concernées ne souhaitent pas figurer dans ce récit, contactez-moi IG ou par MP et je retirerais immédiatement leur nom du texte.

Voila, je pense que tout est dit.
Dernière précision: le texte est en constante écriture... merci de votre compréhension concernant certains délais d'attente.


Bonne lecture. ^^


Dernière édition par Syhl le Sam 02 Août, 2008 13:28, édité 2 fois au total.

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MessagePublié: Sam 02 Août, 2008 13:08 
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Sheitana sortit précautionneusement la tête de sous l'écritoire, regarda à gauche, à droite, et ne voyant aucun danger, s'extirpa complètement de sa cachette.
Elle avait beau n'avoir que dix ans (dix ans et demi, comme elle se plaisait à préciser aux grandes personnes), rester deux heures durant roulée en boule sous un meuble à attendre que l'heure de la fermeture de la bibliothèque passe, c'était quand même un vrai supplice. Mais la récompense de tant d'attente valait bien toutes les tortures du monde.


Bien que jeune, la petite Sheitana n'en était pas moins vive et intelligente, et surtout, très réceptive, aux dire de son éducateur; ce que sa mère avait immédiatement interprété comme de la
"curiosité déplacé chez une enfant de cet âge, qui ne pourrait aboutir qu'à un dérangement de son futur esprit d'adulte". Et, pour remédier à cela, elle lui avait confisqué ses livres, espacé sensiblement les interventions de son percepteur, et interdit tout accès à la Bibliothèque autre que ceux nécessaires à la réalisation des travaux imposés par le précepteur de l'enfant.

" De toute façon, une femme de votre rang ne doit savoir compter que pour superviser les comptes de ses terres, ne doit savoir écrire que pour rédiger des lettres à sa famille, ne doit connaître son pays que pour ne pas commettre d'impairs envers ses voisins lors de réceptions. Le reste n'est que perte de temps", se plaisait à lui répéter sa mère. Et, pour bien faire entrer le message dans la tête de l'enfant, elle l'avait peu à peu séparée de ses frères, l'empêchant d'assister à leurs séances d'entrainement, et lui avait collé entre les mains des travaux de broderie à n'en plus finir.


Mais Sheitana refusait cet état de fait; et malheureusement, l'intervention de sa mère arrivait trop tard,
"le mal était déja fait." Avant son départ, son précepteur avait eu le temps de lui faire découvrir les joies de la lecture, la poésie, les romans, l'histoire... la petite avait un appétit incroyable et ingurgitait au sens propre du terme des ouvrages presques aussi épais qu'elle. Toute information qu'elle obtenait, elle la mémorisait immédiatement, et tout était bon pour satisfaire sa curiosité. Sa soif d'apprendre et de comprendre était telle qu'elle était prête à tout pour la satisfaire... même à se laisser enfermer une partie de la nuit dans la Bibliothèque, comme elle l'avait fait ce soir, comme elle le faisait depuis bientôt trois semaines.


Elle se redressa complètement, étira son dos avec une grimace, puis se mit en route entre les hautes étagères lourdement chargées de rouleaux, de folios, de gazettes et d'ouvrages. Elle emprunta un chemin bien précis, et se retrouva face à l'étagère qui accaparaît toute son attention depuis maintenant 4 jours.
Se haussant sur le pointe des pieds, elle parcourut de son doigt les vieilles couvertures de cuir défraîchies, aux lettrines dorées à demi effacées. " Le Nain Tianatchonnsse à la recherche de l'arche de l'Alliance" - "A la poursuite de la Gemme Verte" - "La Horde contre-attaque" - " Correspondances avec un vampire"...


Soudain, son regard s'arrêta sur un vieux cahier noir à la couverture racornie. Le cahier étant peu épais, Sheitana du le sortir pour en lire le titre.

" Mémoires d'une diplomate".
Intriguée, elle ouvrit le volume, et lut la page de garde.
" Mémoires d'une diplomate, par Dame Syhl de Parravon, Ambassadrice de bonne volonté sur les Terres Lorndoriennes, sous le 5e âge."

La petite s'assit en tailleur au pied même de l'étagère, prit une capeline dans la besace qu'elle avait en bandoulière, ainsi qu'une chandelle. Elle l'alluma, s'enroula au chaud dans la capeline, et reprit sa lecture à la lueur tremblotante de la flamme de la chandelle.

" Moi, Dame Syhl de Parravon, tient à consigner dans le présent ouvrage tous les évènements de la vie que j'ai passée au service de mes pairs sur les Terres merveilleuses du Lorndor, pour que ne soient jamais oubliés à la fois les horreurs qui s'y passèrent, ainsi que les moments inoubliables qui y furent célébrés, afin qu'ils servent d'exemples aux générations futures, et que le souvenir des héros qui vécurent pendant cette période riche en évènements perdure à travers les siècles..."


Dernière édition par Syhl le Mer 06 Août, 2008 14:08, édité 1 fois au total.

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MessagePublié: Dim 03 Août, 2008 9:48 
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PREFACE



Moi, Dame Syhl de Parravon, tient à consigner dans le présent ouvrage tous les évènements de la vie que j'ai passée au service de mes pairs sur les Terres merveilleuses du Lorndor, pour que ne soient jamais oubliés à la fois les horreurs qui s'y passèrent, ainsi que les moments inoubliables qui y furent célébrés, afin qu'ils servent d'exemples aux générations futures, et que le souvenir des héros qui vécurent pendant cette période riche en évènements perdure à travers les siècles.


Grâce à ces Mémoires,Je souhaiterai rendre un hommage mérité à celles et ceux que je considère comme des exemples, à celles et ceux qui ont donné jusqu'à leur vie pour servir leur juste cause, à celles et ceux qui, finalement, ont parfois fait plus pour le Lorndor que cette poignée de soit-disant héros que l'Histoire choisira de retenir et de glorifier.
Parce qu'à mes yeux, gloire et honneur ne s'acquièrent pas uniquement sur un champ de bataille ou dans un compte en banque, par le nombre de ses victimes ou le nombre de ses pièces d'or, je veux chanter le nom de ceux qui, par leur courage, leur abnégation et leur simplicité, ont accompli des exploits qui méritent d'être narrés, comme ces légendes qui ont bercé autrefois mon enfance et qui ont contribué à faire de moi celle que je suis aujourd'hui.


Puissent les Dieux, dans leur immense générosité, me permettent de les rejoindre là-haut une fois mon passage sur ces Terres accompli.


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MessagePublié: Dim 03 Août, 2008 9:50 
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LIVRE 1 - UN BONHEUR TOUT SIMPLE


Je vis le jour au beau milieu d'une chaude nuit d'été du début du 5e Âge, dans le domaine familial des De Parravon, en bordure d'un charmant petit village situé au nord-est des Terres Lorndoriennes, Thendalle. Ne cherchez pas à le localiser sur une carte, il a aujourd'hui disparu. A l'époque, c'était un petit bourg prospère, paresseusement étendu entre une petite rivière et les contreforts des impérieuses Montagnes du Nord. J'y suis née en temps de paix, ce qui était plutôt rare en ces périodes troubles qu'était le 5e Âge.

Mon père, Kéran de Parravon, était un homme bon et apprécié des villageois. Il entretenait avec justesse et générosité un tiers des familles du village qui, en retour, travaillaient pour nous, sur nos terres et dans nos bois. Les récoltes faites étaient ensuite pour une partie redistribuée au village, pour une autre stockée en cas de famine, et pour une troisième vendue aux contrées voisines; et l'argent qu'elle rapportait servait en majorité en don pour le village. Je me souviens même que, en cas d'hivers longs et rigoureux, mon père permettait à ses hommes de chasser dans ses bois et de pêcher dans ses étangs, à la simple condition de lui communiquer leurs prises. Jamais depuis je n'ai revu pareil générosité chez un seigneur.

Ma mère, Viviel de Parravon, était à ce que m'en disait mon père, une très belle femme avec un caractère des plus délicieux.
Ce que ma chère nourrice traduisait invariablement par:
"Elle menait votre père par le bout du nez, et lui ne pouvait rien lui refuser."
Je n'ai que très peu connu ma mère. En effet, elle décéda deux ans seulement après ma naissance, en donnant naissance à mon frère cadet, Ethan. Avec mon frère ainé, Kaios, nous formions ce que la nourrice appelait affectueusement "le trio infernal". Pauvre Annah! Je me rend compte aujourd'hui de la patience et de l'amour qu'elle eut pour nous. Grâce à elle, je n'ai jamais ressenti la douleur provoqué par l'absence de ma mère. Contrairement à Kaios, qui avait quatre ans lorsqu'elle nous quitta, et qui toujours conserva le souvenir de ces quatres années passées auprès d'elle.

J'ai grandi ainsi, entouré de garçons, adorée par mon père qui revoyait en moi le souvenir de celle qu'il avait aimée. De ma mère, j'ai hérité mes cheveux blonds et la curiosité. De mon père, j'ai reçu mes yeux clairs et l'attirance pour les armes. Au grand désepsoir de ma tante Falaïs, soeur de ma mère, qui poussait des hauts cris lorsqu'elle me surprenait, un baton dans les mains, lancée dans des combats imaginaires (dont je sortait bien évidemment victorieuse.)
Patiemment, j'assimilais alors ses leçons sur la manière dont devait se conduire une juene fille de bonne famille, puis, au moment même où elle pensait avoir enfin dompté le petit démon que j'étais, je m'échappais du château pour aller rejoindre en courant, pieds nus dans la poussière, mes deux frères qui se chamaillaient au bord de la rivière.

Mon père souriait des plaintes de ma tante, et plus d'une fois je l'ai entendu lui dire à quel point il était heureux de me voir si libre et si épanouie; même si, pour la forme, j'avais droit à des remontrances le soir au dinner. Mais je voyais à chaque fois dans ses yeux quand il me sermonnait à quel point il était fier de moi.
Et chaque soir, alors que nous étions tous trois vautrés sur le grand tapis du salon, uniquement éclairés par le feu de la grande cheminée qui crépitait et nous réchauffait agréablement, chaque soir, mon père s'asseyait dans son lourd fauteuil, puis, il nous racontait inlassablement les contes et légendes qui parcouraient le Lorndor, nous enseignant par ce moyens (mais j'étais trop jeune alors pour m'en rendre compte) des valeurs comme l'honneur, le courage, le respect, ou encore la bonté.

Et moi, je m'endormais, et je rejoignais dans mes rêves les farouches guerriers et les dompteurs de dragons, les puissants enchanteurs et les fragiles fées, les fiers elfes et les nains indomptables...
Je ne m'imaginais pas que ce rêve un jour puisse prendre fin.
Mais le réveil n'en fut que plus brutal.


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MessagePublié: Mar 05 Août, 2008 15:43 
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LIVRE 2 – RETOUR A LA REALITE.



Cela commença comme un rire. Une vague rumeur. Légère comme la brise qui soufflait en ce matin de printemps qui voyait fleurir mes 14 ans. On en souriait. Personne ne voulait y accorder la moindre attention.
Ceux, rares, qui y croyaient vraiment, s'attiraient railleries et moqueries des autres personnes « saines d'esprit ».
Allons bon !! La guerre ? Ici ? Mais enfin, allons, soyons sérieux ! La guerre, c'est bon pour les riches, les puissants, et ceux qui ont quelque chose de valeur à protéger ! Nous ne sommes que de simples producteurs de céréales, n'avons ni or, ni minerai, ni fourrures, ni bois précieux, rien ne justifiant la volonté de prendre notre village d'assaut ! Une guerre... et puis quoi encore ? Pourquoi pas un blizzard en plein été ?! Quelle idée, vraiment, de faire peur aux enfants avec des histoires pareilles !!
...
Quand nous vîmes passer les premières colonnes de réfugiés, il ne fut plus question de racontars de bonne femme. Avec l'arrivée de ces réfugies vinrent les premiers rapports du front. A l'extrême Est du village, de l'autre côté des Montagnes, avaient surgi des troupes de démons chaotiques, venues par on ne sait quel moyen du sud-est du Pays, et qui marchaient en direction des peuplades elfiques établies depuis des générations dans les vastes forêts qui bordaient l'autre versant des Montagnes. Quelles étaient les raisons de ce soulèvement massif ? Nul ne le savait. Mais pas besoin de savoir le pourquoi des choses devant les horreurs qui étaient racontées par les survivants.
Les troupes démoniaques avançaient impitoyablement, sans dévier de leur route, massacrant avec sauvagerie tous les villages humains qu'ils rencontraient sur leur passage. Les récits insoutenables de femmes violentées, d'enfant dévorés, d’hommes massacrés, faisaient frémir même les plus endurcis d’entre nous.



Au château, mon père, Kéran, faisait tout pour nous protéger de ces évènements, créant une bulle autour de nous pour que nous ne soyons pas atteints par ces horreurs. Quelques familles de réfugiés furent recueillies dans les dépendances attenantes au domaine, et mon père prétexta l'arrivée précoce du printemps pour justifier l'emploi de tant de nouveaux ouvriers. Mais nous n'étions pas dupes pour autant.
Arriva le moment où mon père comprit qu'il ne pourrait plus nous cacher la vérité plus longtemps. Aussi, un soir, alors que nous étions réunis comme à l'accoutumée autour de la chemina, il parla. Mais l'histoire qu'il nous raconta ne commença pas par les habituels « Il était une fois ... » ou « Au commencement de tout, il y avait... ». Il nous parla de la guerre, simplement, des horreurs qu'elle générait, les pourquoi et les comment. Il nous dit l'ambition des puissants, la haine entre les peuples et l'égalité des races devant l'absurdité et la convoitise. Il parla longuement, calmement, et répondit patiemment à chacune de nos questions.
Et lorsque nous nous tûmes enfin, tous trois, les yeux fixés en silence sur les flammes de l'âtre sans vraiment les voir, il nous laissa un instant digérer toutes ces informations.
Puis, tout aussi calmement, il reprit la parole. Mais les mots qu'il prononça alors ne s'effacèrent jamais de mon esprit. Ils marquèrent à tout jamais la fin de cette époque heureuse, la fin de mon enfance.



- « Demain, mes enfants, je m'en vais moi aussi au front. »
Nous sursautâmes.
- « Tous comme beaucoup d'hommes du village. Nous avons reçu il y a quelques jours une demande d'aide de la part d'Elfes de Laëndrill, le village elfique le plus proche du nôtre, de l'autre côté des Montagnes. Après réflexion, nous avons décidé d'y aller afin de tenter de briser l'avancée des troupes du Chaos. Car il est évident qu'elles ne s'arrêteront pas là une fois leur objectif atteint. Il nous faut concentrer nos efforts dès maintenant, tant que nous n'avons rien à perdre, tant que nous vous savons tous encore à l'abri loin derrière nous. Mon coeur serait bien moins serein et mon esprit bien moins tranquille si je nous savais le dernier rempart entre ces troupes démoniaques et vous...
En cas de défaite (et je prie Dieu que cela ne soit pas le cas), il faudra encore 7 jours de marche dans les Montagnes à notre ennemi avant de vous atteindre. Cela vous laissera le temps d'évacuer. »

Et comme nous tentions de protester, il ajouta doucement :
- « Ma décision est prise. Je ne resterais pas ici à l'abri comme un pleutre sous prétexte que je suis un châtelain. Souvenez-vous bien de ce que je vous ai appris sur l'honneur, le courage et la foi. Ne craignez rien. Si ma conduite est juste, quelque soit la voie que le destin me trace, je sortirai vainqueur. Même de la mort. »

Mon père détestait les adieux. Sans un mot, il nous embrassa sur le front comme de coutume quand nous allions nous coucher, comme si ce soir-là était un soir normal, et que nous nous réveillerions en paix. Comme tous les soirs, il embrassa d'abord Kaios, l'ainé, puis moi-même, et enfin mon frère Ethan. Comme si tout était normal. Seul un léger détail me convainquit que la scène était affreusement réelle. Une chose que je n'oublierai jamais plus.
Les mains de mon père qui tremblaient en me prenant le front.
...
Le lendemain matin, à notre réveil, il n'était plus là. Fringant, son cheval, manquait à l'écurie, de même que la lourde épée de bataille qui aurait du trôner sur le devant de la cheminée.



Commença alors la plus douloureuse des attentes, dans un château devenu subitement glacial malgré les premières douceurs du printemps. A chaque ouverture de porte je croyais voir entrer mon père, avec son rire et ses yeux pétillants. A chaque claquement de sabot sur les pavés de la cour nous nous élancions vers les fenêtres intérieures ; mais ce n’était que les convois de réfugiés, toujours plus nombreux, qui ne s’arrêtaient même plus, si atrocement semblables, avec les mêmes regards vides, accompagnés des mêmes pleurs d’enfant.

Pour nous occuper les mains à défaut de pouvoir nous occuper l'esprit, nous nous étions désignés des tâches quotidiennes à accomplir. Kaios, secondé par Annah, aprenait sur le tas à gérer notre domaine. Ethan, lui, organisait des convois de ravitaillement dans le village avec les denrées que lui désignait son frère, et participait à des battues pour tenter de chasser les quelques rares gibiers encore présent dans nos forêts. Quand à moi, je donnais autant que possible des soins aux réfugiés de passage et leur distribuais des galettes de blé noir préparées la veille avec ma nourrice. La famine guettait.

C'est devant ce parvis que je vis passer un matin des réfugiés aux longues oreilles et à la peau blafarde. Des elfes. Les premiers de toute ma vie. Père avait raison, ils ne différaient en rien des autres réfugiés. Devant la faim et la souffrance, nous étions bien tous égaux.
Ainsi le conflit avait atteint environ une semaine auparavant les villages elfiques. Cette informations nous rassura et nous terrifia en même temps. Notre père était donc définitivement au combat maintenant.
Nous continuâmes de prier... et d'attendre.

...

Puis un matin, environ deux semaines après l'arrivée des premiers réfugiés elfes, je vis un cavalier entrer dans le village. Sa monture ne titubait pas de fatigue, comme les autres chevaux que j'avais pu voir. Son cavalier ne se laissait pas aller au roulis provoqué par le pas de sa monture, comme les hommes et les femmes affamés qui passaient habituellement. L'homme, ou plutôt, comme je le vis quelques instants plus tard, l'elfe, s'avança droit vers notre demeure. Il s'arrêta près de moi, et me parla d'une voix douce à mes oreilles.

- « Est-ce là la demeure du Sieur de Parravon ? Êtes-vous Demoiselle Syhl ?»Je ne pus que hocher la tête, les membres soudain glacés.

- « Je me nomme Fala'as, j’étais aux côtés de votre père à Laëndrill. J'ai une dette envers lui que je me dois d'acquitter. Il a sauvé toute mon unité pendant une bataille ; en dépit de nos différences, j'ai conçu un immense respect pour sa bravoure et son courage ; et si les Dieux nous l'avaient permis, je pense qu'avec le temps nous aurions pu devenir amis.
Las, Demoiselle, le Destin fut cruel avec lui. Alors qu'il regagnait un de nos abris, il trébucha sur le corps d'un des nôtres, blessé. Il perdit du temps en voulant l'aider à regagner l'abri, et c'est là qu'un de ces démons, au seuil de la mort, le poignarda avec une dague avant de trépasser. La blessure en soit n'était pas mortelle, mais la dague était empoisonnée.
Il est mort dans mes bras, me faisant jurer, si nos troupes faiblissaient, de venir vous prévenir et de vous mettre à l'abri.
Demoiselle, veuillez recevoir mes plus sincères condoléances pour la mort de votre père. »Il me tendit un objet volumineux emballé dans un drap sale ; un pan de ce drap se découvrit, et je vis alors un morceau de métal briller.
L'épée de mon père.
C'est là que je perdis tout à fait connaissance.

...

Le reste, je le sus à mon réveil. Comment Fala'as nous aida à nous organiser, à préparer notre fuite, la nôtre, mais aussi celle de tout le village. Comment nous fûmes secondés par les réfugiés reconnaissants, qui avaient entre temps recouvrés quelques forces. Il nous restait, selon l'estimation de mon père, environ six jours de répit.
Et puis soudain, deux jours après l'annonce de l'horrible nouvelle, un autre cavalier elfe déboucha hors d'haleine sur la place.
Les troupes du chaos avait été aperçues franchissant le col de Falinas.
Elles avaient trois jours d'avance sur nos prévisions.
Elles seraient là dès le lendemain.


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MessagePublié: Mar 05 Août, 2008 15:54 
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LIVRE 3 – DESILLUSIONS – 1ere Partie



Le nouveau venu, Mahin’nil, était un lieutenant de Fala’as et venait faire son rapport.
Après le départ de son officier, Mahin’nil avait prit la tête du bataillon et avait lancé une dernière offfensive vers les hordes chaotiques. Mais leur attaque de flanc fut déjouée par les ennemis, qui virèrent brusquement de bord pour les charger de front. La bataille tourna au carnage, et beaucoup d’Elfes moururent ce jour là. La ville de Laëndrill, désormais sans défense, était tombée et avait été dévastée par les barbares.
Cependant, une lueur d’espoir était venue avec l’arrivée d’un messager en provenance du Sud. Un Seigneur cousin du Seigneur de Laëndrill avait entendu son appel, et envoyait de nouvelles troupes fraîches, composées d’Elfes et de voisins Humains, pour tenter de sauver ce qui pouvait l’être encore. Les troupes du Chaos avaient bien souffert sous les lignes de défense Elfiques, et l’arrivée de renforts ennemis les inquiétait.
Voila pourquoi le pillage de Laëndrill avait été baclé, au profit d’une retraite stratégique dans les Montagnes, retraite qui ne les empêchait pas d’assouvir leur soif de sang en massacrant les faibles villages sur leur passage. Voila pourquoi aussi, ils arrivaient avec tant d’avance.


Nous fûmes anéantis par la nouvelle.
Certains, dont les réfugiés, paniquèrent et abandonnèrent tout sur place, cherchant dans la fuite un salut plus qu’improbable. D’autres tombèrent assis, à même le sol, tête penchée, et commencèrent à attendre leur fin, résignés, priant pour qu’elle arrive le plus vite possible.

Heureusement, la majorité des villageois réussit à garder son calme. Des que la nouvelle fut connue de tous, nous vîmes affluer une troupe silencieuse et tremblante aux portes du château. Tout ce que le village comptait de valide était là ; les femmes, les enfants et les vieillards noyant de leur nombre les quelques hommes qui n’étaient pas partis au front.
Un vieillard ôta alors son vieux chapeau, dévoilant une tête ridée et épuisée par le chagrin, la faim et la fatigue. Il s’avança d’un pas, se séparant ainsi du reste de la foule. Je ne le connaissais que trop bien.


- « Ma ‘mizelle, mes Seigneurs, je viens parler pour mes camarat’ ici présents. Vous m’connaissez, j’suis Aaron, pour vous servir, mes Seigneurs, vous savez, c’est mon fils Enak qu’était comme qui dirait vot’ intendant. Alors, ‘savez, c’est pour ça qu’les autres y m’ont dit de vous parler pour nous tous. »

Kaios, étant l’ainé, s’avança lui aussi d’un pas, et pour se donner bonne contenance, se croisa les bras sur la poitrine. Je fus frappée de voir à quel point il avait sans le vouloir consciemment, reproduit les attitudes de Père. De le voir ainsi, une boule se forma dans ma gorge.

- « Je t’écoute, Aaron. Parle sans crainte. »
- « Ben, voila. Du temps d’vot père, que les Dieux le prennent en leur bonn’ garde, on a toujours été protégé. Y nous a toujours aidés, même quand y f’sait grand faim. L’était juste, Not’Seigneur, et l’était bon pour nous. Mon vieux cœur y pleure aujourd’hui. Pasqu’on a jamais pu lui montrer qu’on y était r’connaissant , pas vrai vous z’autes ? »

La foule aqcuiesça dans un grognement incompréhensible.

- « Alors, nous, on veut qu’ça change. On veut qu’on vous aide, pour l’souvenir de Not’Seigneur, et pour lui dire merci même si y est pu là aujourd’hui. Pis y a toujours veiller sur nous, alors maint’nant, c’est à nous d’veiller sur sa famille.
Quoiqu’vous décidiez, on s’ra derrière vous, M’sieur l’Comte. »

Kaios était devenu blême, en comprenant de facto qu’il était devenu le chef de notre famille. Le vieux Aaron l’avait ramené à la réalité, en lui donnant le titre qui était réservé à Père.
Et, d’un seul tenant, les quarante ou cinquante personnes qui composaient l’assemblée s’inclinèrent.


La scène était poignante. Cinquante personnes, des vieillards pour la plupart, entièrement dévoués aux trois enfants tremblants que nous étions. Le poids du monde sur nos épaules n’aurait pas été plus lourd que toute la confiance et l’espoir qui brillaient au fond des yeux de ces pauvres gens. Ils venaient de déposer leur vie entre nos mains. Nous ne pouvions pas les abandonner.
Instinctivement, Ethan et moi-même nous rapprochâmes de notre frère ainé. Nous voulions partager avec lui cette responsabilité écrasante pour un jeune homme de seize ans. Nous avions toujours vécu à trois, nous étions prêts à mourir à trois.
Du moins, c’est ce que je croyais.
Mais j’avais compté sans l’amour fraternel.


Très calmement, Kaios prit la parole.

- « Au nom de mon Père et au nom des miens, je vous remercie pour cette marque de confiance. Je ferais de mon mieux pour suivre l’exemple de Pè… du défunt Comte Kéran de Parravon.
Comme vous le savez, la situation est désespérée. L’avancée des troupes barbares a été bien plus rapide que prévue, et elles seront à nos portes dès demain matin.
Nous ne pourrons pas tous nous enfuir. Mais nous pouvons contribuer à en aider certains.
Je sais à quel point la guerre a été terrible, pour vous. Je sais que vous avez tous perdu un être cher déjà, un mari, un père ou un fils. Je sais aussi que ce que je vais vous demander est dur, cruel. C’est pourquoi je ne veux obliger personne. Mais je pense que c’est notre meilleure solution.
Ceci n’est pas un ordre. Juste une demande.
Je demande à toute personne valide, de bien vouloir me rejoindre pour former une troupe armée et défendre le village. »

La stupéfaction et l’incompréhension se lisait dans les yeux de ses auditeurs. La foule se mit à gronder, un bébé commença à pleurer. Mais mon frère leva un bras et les murmures se turent.

- « Écoutez-moi ! Je ne me fais pas d’illusion, nous ne pourrons venir à bout de ces démons qui ont su résister à des armées bien entrainées de soldats Elfes. Mais peut-être pourrons-nous gagner assez de temps pour permettre aux femmes et aux enfants de s’enfuir.
Tout comme vous, j’ai de la famille qui m’est chère. Je ne pourrais souffrir de voir ma sœur aux mains de ces monstres, je ne pourrais supporter de voir mon jeune frère torturé par ces démons. Leur donner une chance de fuir m’importe plus que ma propre vie. Et je suis sûre que beaucoup d’entre vous sont prêt à faire de même. A ceux-là, je dis : rejoignez-moi. Pour que les vôtres, les nôtres puissent survivre. Qu’ils puissent porter au loin le récit des atrocités qui se passèrent ici. Que vos enfants puissent grandir et vivre. Que notre sacrifice ne soit jamais oublié.
Alors ? Qui est avec moi ? »

Plusieurs hommes sortirent du rang. Quelques femmes aussi. Dans chaque famille, quelqu’un choisissait de rejoindre mon frère. L’ainé des enfants, pour que ses frères et sœur puissent avoir leur chance. Le grand père de la famille, qui savait qu’il serait un fardeau dans la fuite des siens. Une mère, dont le mari avait déjà péri, et qui confiait ses enfants à une voisine.
Bientôt nous eûmes une vingtaine de personnes silencieuses et déterminées, prêtes à défendre le village. Leur regard était terrible. Le regard d’hommes ou de femmes sur le point de mourir, et conscient de cela.

- « Merci à tous. Maintenant nous n’avons plus de temps à perdre. Syhl, je te charge d’aider les femmes et les enfants restants à rassembler quelques provisions et quelques hardes pour organiser la fuite. Ethan, prend dix personnes et fais le tour du village. Rapporte tout ce que tu pourras trouver pour servir d’armes. Les autres, suivez moi. Nous allons dresser des barricades autant que possible autour de nous. »

Sans un mot, les gens se dispersèrent. J’allais les suivre lorsque Kaios me prit le bras et me parla à mi-voix.
- « Je veux que vous soyez prêt à partir dans moins de deux heures. »
- « Je ne te laisserais pas seul face à ces fous ! Je… »
- « Ne discute pas. C’est un ordre. »
J’eus le souffle coupé par la dureté de ses paroles. Un instant, j’entrevis l’homme qu’il aurait pu devenir. Un Seigneur respecté et charismatique. Il tenait vraiment de Père. Jusqu’à son regard.



Deux heures après nous étions prêts. Mais j’étais bien décidée à résister à Kaios. J’étais comme lui une De Parravon. Je n’avais à recevoir d’ordres de personne. Pas même de mon frère.
Nos alliés du moment étaient aussi avec nous. Fala’as avait décidé de rester combattre aux côtés des volontaires
(« Défendre jusqu’à mon dernier souffle le fils de celui qui m’a sauvé la vie… voila comment je paierais ma dette. ») tandis que Mahin’nil accompagnerait les fuyards. Les femmes et les enfants allaient tenter de partir au Nord du village sur les Hauts de Lornell ; Mahin’nil était originaire de ces contrées et connaissait de nombreuses caches.

Le moment des adieux était venu. Mais je me plaçais aux côtés de Kaios, lui montrant par là que j’étais décidée à rester.

- « Va-t’en. »
- « Non. »
- « Je suis ton suzerain. Tu me dois obéissance comme tu le devais à Père. Alors fais ce que je te dis. »
- « Père me cédait toujours en tout. Tu sais à quel point je savais le harceler pour obtenir ce que je voulais. »
Il eut un petit rire triste.
- « Oui, tu as toujours été très… têtue. »
- « Ca ne changera pas aujourd’hui. Je refuse de te laisser te faire massacrer sans rien faire. J’ai déjà perdu un père, je refuse de te perdre toi aussi. Comme toi, j’ai écouté Père et ses légendes. Comme à toi, il m’a appris l’honneur, le courage. Et je sais aussi que si nos rôles avaient été inversés, tu serais exactement en train de me résister comme je le fais actuellement. »
Il se tourna alors vers moi, avec les yeux brillants et ce petit sourire fin que j’aimais tant chez lui.
- « Je voudrais te dire… je suis fier d’avoir une sœur telle que toi. N’oublie jamais que je t’aime. Et pardonne-moi si tu le peux. »
- « Excuse-moi ? »
Il me gifla à la volée. De toute ses forces. Je fus complètement sonnée.
Il me rattrapa alors que je perdais pied ; et dans un brouillard complet, je ne pus qu’assister impuissante à la scène. Je le vis me porter jusqu’à une des charrettes de réfugiés, me tendre à Mahin’nil, puis annoncer simplement à Ethan qu’il était maintenant le nouveau chef de famille, et qu’il lui faisait confiance pour prendre soin de moi.
Ethan jura sur son honneur de faire ainsi, et mes deux frères s’embrassèrent de longues minutes.

Puis tout s’embrouilla, alors que je luttais pour rester consciente. Le convoi s’ébranla, nous quittâmes le village. Je ne vis pas Kaios, mais Ethan me raconta par la suite qu’il était resté longtemps debout, sur la barricade, à nous regarder partir. Ce fut la dernière image qu’il eut de son frère ainé, celle d’un homme, et non plus un enfant ; celle d’un guerrier valeureux et digne de porter le nom de son Père, l’épée familiale à la main, transcendé par le sacrifice qu’il s’apprêtait à accomplir.
Moi, il ne me restait de lui que ce dernier regard que nous avions échangé. Un visage qui me hanterait désormais toutes mes nuits, le visage d’un homme au sourire fin et triste, et aux yeux incroyablement clairs et brillants.
Je ne l’ai compris qu’après.
Brillants, parce que remplis de larmes.


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MessagePublié: Mer 06 Août, 2008 14:07 
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LIVRE 3 – DESILLUSIONS – 2e Partie


La marche dura deux jours, deux longs jours silencieux et irréels. Deux jours dans le froid, l'humidité et la vermine. Deux jours de faim et de souffrance. Souffrance physique, bien sûr. Mais aussi morale.
Chacun d'entre nous avait un étau qui lui enserrait le cœur. Chacun d'entre nous avait l'esprit irrémédiablement attiré vers le village. Et chacun d'entre nous ne trouvait la force de continuer que pour ceux qui restaient.
Ethan fit de son mieux pour me réconforter. Mais lui même n'était pas des plus brillants. Dieux, mais nous n'étions que des enfants !!! J'avais quatorze ans, Ethan douze! Nous n'avions pas à subir tout cela. Nous étions trop jeunes ! Nous avions le droit à l'innocence, nous avions le droit d'être heureux, nous avions le droit encore à l'enfance ! Les Dieux étaient cruels de nous imposer une telle épreuve. Qu'avions nous fait? Qu'avions nous pu faire pour mériter de souffrir ainsi? Dieux... ô Dieux !


Nous débouchâmes enfin sur l'un des Hauts Plateaux qui dominait la vallée. Nous étions harassés, perdus, et tremblants, et pourtant nous nous précipitâmes vers le panorama qui s'étendait sous nos pieds.
La vue était splendide, on voyait toute la naissance de la vallée du Lorndor. Un patchwork de couleurs vertes, jaunes et brunes s'étalait dans le lointain. Les champs de la plaine de Tiranne. Quelques forêts disséminées ça et là apportaient une touche de solennité et de fraîcheur au décor. Un long ruban scintillant serpentait de l'une à l'autre, nonchalamment. La rivière bien sûr.
Et au centre... une colonne de fumée. Noire.

J'avais le cœur au bord des lèvres. Notre village... il n'en restait rien. Que des ruines fumantes, éclairées par quelques brasiers rougeoyants, ça et là, dans le crépuscule naissant. A l’extrémité, notre demeure n’avait pas été épargnée. Elle avait du être saccagée en dernier, car l’incendie la ravageait encore.

- « Ils sont partis. » La voix de Mahin’nil nous tira brusquement du cauchemar où nous étions plongés, et le retour à la réalité permit à certains d’entre nous de se laisser aller à leur chagrin.
Mais cette fois, il n’y eut pas d’explosion de colère. Pas de cris, de pleurs bruyants, de manifestation de souffrance. C’était trop. Il n’y avait que de la honte d’être encore en vie, de la résignation pour la perte des êtres chers, et des larmes silencieuses qui coulaient sur les visages.


- « Comment pouvez vous le dire ? Il fait sombre et nous sommes trop loin pour cela ! Et qu’est ce qui vous dit qu’ils ne sont pas sur nos traces dans la forêt ? » Ma voix était rendue rauque par le chagrin, la fatigue et l'effort. Kaios aurait bien ri en m’entendant parler ainsi !
Kaios…

- « Parce que nos yeux sont plus perçants que les vôtres, Demoiselle. Je peux voir d’autres fumées vers l’Ouest. »
- « Ces démons sont vraiment stupides. Ils laissent derrière eux une piste plus visible que si elle avait été indiquée par des panneaux. » La voix d’Ethan me glaça l’échine ; elle était devenu atone. Rien ne transparaissait, contrairement à moi, des sentiments qui pouvaient l’agiter. Rien d’autre qu’une froide indifférence. Ses yeux à lui étaient secs. Et désespérément vides.

...

Nous attendîmes encore une nuit et un jour avant d’entamer la descente vers notre village… ou ce qu’il en restait.
Comment ? Comment décrire l'horreur de la scène? Que dire? Les pauvres habitations, éventrées, noircies? La place principale du village, avec la petite fontaine au centre, entièrement pulvérisée? Les fragiles barricades que mon frère et les villageois avaient érigées, complètement enfoncées et éparpillées sur des dizaines de mètres aux alentours? Les odeurs entremêlées du sang, du bois brûlé et de la mort? Comment de simples mots pourraient-ils refléter la moindre parcelle de ce que nous étions en train de vivre? C'était indescriptible. Seul ceux qui ont déja vécu ou vu cela comprendront ce que j'essaie de dire ici.
A la porte Est du village, nous les trouvâmes. Les corps. Mutilés. Massacrés. Ils n'étaient pas simplement morts, non. Ils étaient... ils étaient anéantis. J'avais déja vu un mort; ils semblent dormir, sont en paix avec eux-mêmes, et leur visage reflète une sérénité peu commune. Mais dans un même temps, ils sont encore là. Parce que leurs corps sont intactes et correspondent au souvenirs que nous en avions du temps de leur vivant.
Mais là... beaucoup d'entre nous ne supportèrent pas la vue de ces horreurs. Les résistants avaient été mutilés par plaisir. Uniquement par plaisir.
Nous commençames le terrible travail de recensement des morts. Dans un silence pesant, entrecoupé parfois par un sanglot étouffé lorsqu'un proche retrouvait l'un des siens. Puis, en retournant un des corps, je fus frappée au coeur. Je les vis.
Deux yeux gris perçants.
Kaios.
Et pourtant, ça n'était pas lui. Non. Je ne pouvais retrouver en ce pantin désarticulé et blême, le frère rieur et joueur, plein de vigueur et de joie, que j'avais toujours connu. Je ne pouvais pas pleurer. Cette chose qui était devant moi m'était inconnue. C'était n'importe qui. Sauf qu'il avait les yeux de mon frère, les yeux des De Parravon. C'était ça qui me gênait, bien plus que l'horrible balaffre noire qui traversait son torse. Prise d'une impulsion, je lui fermais les yeux. Toute suite je me sentis mieux. Comme cela, ça n'était plus du tout mon frère. Mon frère demeurerait intact dans mes souvenirs, tel que je l'avais toujours connu


Les corps furent brûlés, car nous étions trop peu nombreux pour pouvoir les enterrer. Mes yeux ne quittèrent pas les flammes, depuis la naissance des premières flammèches, jusqu'à l'extinction totale du brasier. La nuit était déja bien avancée, lorsque nous nous nous effondrâmes dans les habitations les moins touchées, pour tenter de prendre un peu de repos, entrecoupé de terribles cauchemars.

...

Le lendemain matin nous fûmes réveillés par Mahin’nil. Il avait mis à profit la nuit pour partir en reconnaissance dans les Montagnes, et il était tombé sur un groupe d'éclaireurs elfes. Il les avait mis au courant de notre situation, et les éclaireurs étaient repartis vers leurs troupes pour les prévenir. Mahin’nil était redescendu vers nous pour nous tenir au courant; nous devions être prêts pour l'arrivée de ces troupes.
Effectivement, elles arrivèrent deux heures plus tard. Il s'agissait des renforts dont nous avait parlé Fala'as; ils avaient décidé de poursuivre les troupes démoniaques, pour les exterminer et venger leurs frères par la même occasion. Une bonne centaine de soldats, cavaliers, archers et fantassins.Terriblement impressionants avec leurs armes, leurs armures, et leur calme froideur. Ils entrèrent dans le village par la porte Est et défilèrent devant notre petit groupe. Le commandant en chef vint saluer Ethan, puis me salua. Il nous expliqua que ses troupes allaient se reposer quelques heures au village, en échange de quelques soins pour les plus atteints d'entre nous. Je regardais mon frère à la dérobée. Pour la première fois depuis une semaine, je voyais quelque chose briller dans ses yeux, et cela me mit mal à l'aise sans que je sache pourquoi.
Lorsque je quittais le commandant, Ethan était en pleine discussion animée avec lui. Je retournais vers mes compatriotes, sous une tente offerte par nos alliés du moement, soulageant leurs douleurs du mieux que je le pouvais. Surtout le vieux Aaron. Il avait attrapé une bien mauvaise toux, dont Mahin’nil m'avait fait comprendre qu'elle serait surement fatale. Surtout que le vieil homme avait tout perdu, et n'avait plus envie de se battre.

Deux heures après, les troupes elfiques levaient le camp. Les troupes d'élite étaient déja parties, seuls restaient encore les manoeuvres qui démontaient le camp. Je cherchai mon frère du regard, mais je ne le vis pas. Je commençai à faire le tour du camp de fortune; il devait surement aider au repliement des tentes.
Mais non, rien. Je ne comprenais pas, où pouvait-il bien être? Peut-être était-il retourné à notre ancienne demeure... Je courus à en perdre haleine, m'imaginant mille et un scénarii possibles. Je criais son nom, en parcourant les ruines du domaine. Mais il n'y était pas.
Je redescendis au village, les derniers chariots elfes se préparaient à partir.
Je voulus courir jusqu'à eux, mais Mala, la femme d'Aaron m'arrêta dans ma course.

- " Demoiselle, y faut qu'je vous dise..."
- "Plus tard, Mala, je cherche le Seigneur Ethan..."
- " Ben justement Demoiselle... c'est que..."
- " Parle voyons! " Je lui pris le bras, un peu plus vivement que je ne l'aurais souhaité. "Il lui est arrivé quelque chose? Dis moi!"
- " Et ben... il ..."



Sheitana sursauta. La grande horloge sonnait dix heures. Dix heures déja !! Il était plus que temps pour elle de regagner sa chambre. Inutile d'éveiller les soupçons de sa mère avec des cernes sous les yeux !
Mais, laisser là le cahier... C'était un vrai supplice!
Finalement, elle prit sa décision. Elle enfourna le cahier dans sa besace. S'il avait été si mal classé (avec les romans, non avec les documents historiques) c'est qu'il ne devait pas être important aux yeux de Lhorne, le bibliothécaire. Puis elle se leva et trottina jusqu'à la salle des archives.
Celle-ci était localisée dans une haute tour, attenante à la bibliothèque. A l'intérieur s'élevait une imposante structure en bois, hélicoïdale. Un gigantesque escalier en bois permettait d'accèder au sommet ainsi qu'aux documents entassés sur les planches d'immenses étagères.

Sheitana grimpa les deux tiers de l'escalier, puis ouvrit une des lucarnes qu'elle avait devant elle. Elle donnait directement sur la face du toit qui correspondait à sa fenêtre de chambre. Agilement, elle se glissa dehors et tira la lucarne vers elle pour la refermer . Si peu de monde passait dans cette salle, que personne ne verrait la fenêtre ouverte. Puis elle regagna sa propre chambre par le toit, avec précaution, et se glissa dans son lit avec un soupir de bien être, non sans avoir mis l'abri les preuves de son délit.
Son sommeil fut immédiat, et pleins de rêves.


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MessagePublié: Lun 13 Avr, 2009 16:51 
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La petite fille ne décolérait plus.
Sa mère avait faillit découvrir ses petites escapades interdites; et si elle n’avait pu déterminer avec précision les activités nocturnes de sa fille, de sérieux indices lui prouvaient que quelque chose se tramait dans son dos.

D’abord, l’enfant en elle-même. La petite Sheitana avait en effet de plus en plus de mal à se lever le matin, avait les yeux cernés, et la qualité de ses exercices de broderie se dégradait indéniablement jour après jour, selon sa mère ; alors qu’elle-même, lorsqu’elle avait son âge, réalisait déjà ses premiers tableaux.
Puis, son comportement. Dame Aléria n’aimait pas du tout cette petite étincelle qu’elle voyait dans les yeux de sa fille depuis environ un mois. Dès qu’elle lui faisait une remarque sur sa façon de se comporter et sur la manière de tenir son rang, la petite relevait brusquement la tête et la fixait en silence quelques instants, avec un regard dur comme elle ne lui avait jamais connu ; mais dès que la Dame était sur le point de lui demander de baisser les yeux, Sheitana détournait la tête et fuyait le regard de sa mère.
Enfin, son attitude. La petite fille s’était brusquement renfermée sur elle-même, ne se confiait plus à sa nourrice, ne manifestait plus l’envie de rejoindre ses frères en douce. Elle restait au-delà des heures permises avec son précepteur, et l’interrogeait sans cesse sur les évènements du 5e Âge, avec une telle insistance que la Dame était outrée de ce manque de savoir-vivre.

En guise de punition, et pour la « remettre dans le droit chemin », sa mère lui avait fait confisquer ses manuels d’Histoire et de Géographie Lorndorienne, arguant toujours que « trop de savoir nuit à l’esprit qui n’est pas fait pour le recevoir ».
Et pour bien marquer le coup, elle avait fait changer les serrures de la Grande Bibliothèque.

Ce qui avait mis Sheitana dans une telle fureur. Finies, les sorties nocturnes, les récits enivrants, les romans à suspens, toutes ces connaissances à la fois délicieuses et si attirantes…
Heureusement, ma Dame sa mère n’avait pas pensé à faire fouiller sa chambre, sinon elle aurait aussi trouvé le fameux petit cahier noir… précieux petit cahier, que la jeune Sheitana venait de ressortir de sous sa couche, et dans lequel elle se replongeait avidement maintenant, à la lueur de la dernière torchère de sa chambre.





- « Demoiselle, y faut qu'je vous dise... »
- « Plus tard, Mala, je cherche le Seigneur Ethan... »
- « Ben justement Demoiselle... c'est que... »
- « Parle voyons! » Je lui pris le bras, un peu plus vivement que je ne l'aurais souhaité. « Il lui est arrivé quelque chose? Dis-moi! »
- « Et ben... il est parti, Demoiselle… »

La foudre s’abattant sur un arbre près de moi ne m’aurait pas plus pétrifiée que les mots que venaient de prononcer la vieille Mala. Je voyais des larmes rouler sur ses vieilles joues ridées, et sa lèvre tremblait pendant qu’elle me parlait.
- « Il est … parti ? … »
- « Oui, Demoiselle… L’est parti se battre avec les Longues Oreilles. Y savait bien que vous ne l’auriez pas laissé partir, pour sûr, il a à peine 12 ans, not’ Seigneur, mais y m’a donné l’ordre, alors, j’ai pas pu l’ret’nir, ‘comprenez, Demoiselle ? »
J’étais abasourdie, je ne pouvais qu’entendre les paroles de la vieille femme, qui me semblaient venir de très loin. Une brume paralysait mes pensées, je n’arrivais pas à comprendre ces trois mots : il est parti.

- « L’était beau, Demoiselle, avec l’épée de feu vot’père. L’a dit qu’y penserait bien à vous, et qu’vous entendrez un jour son nom dans tout not’pays. L’a dit aussi qu’y r’viendrait vers vous, quand il aura redressé vot’nom. Y m’a d’mandé d’veiller sur vous, pour sûre, et d’aller chez un d’nos voisins, le Seigneur Arnault de Kellegen ou le Seigneur Jehan de Latour. Y vous y r’trouv’ra à la fin de la guerre, pour sûre. »

...

C’est le soir, seule, assise près du maigre feu de camp, la tête sur mes genoux, que je pris ma décision. Je savais dès cet instant que je ne reverrais plus jamais Ethan (et jusqu’à présent, en dépit de mes recherches, cette certitude s’est tristement révélée exacte.) Pour une raison que j’ignorais, les Dieux nous avaient abandonnés. Ma famille n’était plus, j’étais la seule encore vivante à porter son nom, seule représentante d’un clan moribond, et qui mourrait fatalement avec moi ; que je vienne à mourir, ou que j’épouse un riche Seigneur, ma lignée viendrait irrémédiablement à disparaître.

Alors pourquoi attendre ? A ce moment là, j’étais convaincue qu’il ne me restait que peu de temps à vivre, alors, plutôt que de me laisser glisser doucement vers le Destin qui m’avait été promis (du moins, je le croyais), je décidais d’aller au devant de lui. Il m’était trop douloureux d’attendre dans le chagrin et la souffrance que s’écoulent les heures qui me sépareraient de la délivrance, du moment où je pourrais aller retrouver les miens dans un monde meilleur. Autant précipiter ma fin, quelle qu’elle ait pu être.

En silence, profitant que mes camarades d’infortune commençaient à s’endormir, je me levais. J’allais un peu en retrait, seller une des juments à peu près en état que nous avaient laissées nos « sauveurs » elfes ; puis je pris quelques provisions, que j’installais dans les fontes de la selle, et une épée en assez mauvais état, que je pus trouver sur le tas des armes qui avaient appartenus à nos chers disparus. Puis je montais en selle, et tournant résolument le dos au feu protecteur, synonyme de chaleur et d’humanité, sans un regard pour ceux que j’avais aimés, je m’enfonçais dans la nuit noire, en direction du Sud.

A partir de ce moment-là, j’abandonnais mon nom.
Je n’étais plus que Dame Syhl.

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MessagePublié: Lun 13 Avr, 2009 16:54 
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LIVRE 4 – SOMBRES ERRANCES.



Pendant près d’un an, j’ai erré sur les Terres du Lorndor, comme une ombre. Je ne vivais que grâce à des larcins et à des pièges posés en forêt. Je n’avais aucun projet, j’avançais sans but, uniquement portée par l’espoir de retrouver les miens. Cette période de ma vie n’est pas de celle qui furent les plus glorieuses, et dont je peux me vanter. Mais même les heures les plus sombres de nos existences méritent d’être extraites et mises à jour ; car notre être est fait de côté sombre et de lumière, de bonnes actions et d’actes plus vils. Nous sommes une dualité que nous devons assumer.

C’est pendant cette errance que je me suis construite. Physiquement, j’ai beaucoup changé. Mon corps habitué à la douceur des plumes se retrouvait confronté la dureté du sol. Mon cœur accoutumé à la présence ininterrompue de mes frères se retrouvait plongé dans une incroyable solitude. Mon esprit toujours entouré de musique et de poésie était soudainement noyé au cœur d’un silence glacé, entrecoupé par des bruissements, des craquements et des grognements tous plus inquiétants les uns que les autres.
J’ai perdu beaucoup de poids à devoir chasser sans relâche, mes sens se sont aiguisés à force de traques et de poursuites. Sans compter le nombre de fois où j’ai du me défendre. Et pas seulement contre des animaux sauvages.
D’autres prédateurs, bien plus dangereux encore parce que plus familiers rodaient autour de moi.


La première attaque fut celle qui me marqua le plus, par sa brutalité et son caractère inattendu. Non pas que je me sois par la suite habituée à cela – on ne s’habitue jamais vraiment à devoir défendre sa vie à chaque seconde – mais cette première fois m’avait ouvert les yeux, elle m’avait permis de prendre conscience que cela pouvait m’arriver encore une fois.

Cela s’est passé en début d’après-midi, un jour en automne. Je ne peux donner la date précise, car la solitude m’avait fait perdre la notion du temps ; mais cela faisait quelques mois déjà je pense que j’avais quitté mes terres. Je terminais ma tournée habituelle pour relever quelques collets que j’avais placés çà et là, espérant trouver quelque chose qui calmerait ma faim. Et pour une fois, le piège n’était pas vide. Un jeune lapereau presque aussi maigre que moi s’y était laissé prendre. Attaché par une patte, il avait du essayer désespérément de s’enfuir pendant des heures, puis avait fini par renoncer, d’épuisement sans doute, car il ne bougea presque pas à mon approche. Enfin, j’allais pouvoir faire un repas convenable. Et tandis que je m’agenouillais pour récupérer ma proie, il me fixa de ses yeux noirs, immobile, ses flancs se soulevant de plus en plus rapidement à mesure que le rythme de son cœur s’accélérait.
Soudain, un bruit de feuilles froissées me fit sursauter, et je relevais la tête, en alerte. Devant moi se tenait un être misérable, qui avait du être un homme autrefois, mais qui n’était plus qu’une bête à demi-sauvage en haillons, une bête qui me fixait de ses yeux fous, ou plutôt qui fixait ma capture avec un regard dont le sens ne m’échappa pas.

Nous restâmes ainsi une seconde immobiles, chacun ayant compris les intentions de l’autre, chacun sachant que cet animal représentait le salut pour l’un de nous deux. En cet instant nous n’étions plus deux êtres humains, nous étions deux concurrents sur le même maillon de la chaîne alimentaire, deux prédateurs face à une seule proie. L’issue était inévitable.


C’est lui qui se jeta le premier sur moi, avec un hurlement frénétique et désarticulé, les mains tendues. A cause de son poids et de ma faiblesse, je basculais en arrière, et nous roulâmes sur le sol comme deux bêtes enragés. Il réussit à prendre le dessus sur moi, et je sentis avec effroi ses mains enserrer mon cou et se refermer avec violence. Très rapidement je commençais à suffoquer, essayant vainement d’arracher ses doigts crochus de mon cou, mais sa prise était solide et mes efforts vains m’affaiblissaient de plus en plus. Je rassemblai mes dernières forces et réussit à lui porter un coup en pleine face qui le fit hurler et lâcher prise. Aspirant avidement une bouffée d’air frais qui me fit l’impression d’avaler du feu, je roulais sur le côté et me relevais en titubant, cherchant ma dague à ma ceinture, tandis que mon adversaire se relevait à son tour, les traits crispés par la douleur et la haine, le nez ensanglanté. Il se mit à me tourner autour, comme un fauve, restant soigneusement hors de porté de ma lame, cherchant la moindre faille pour m’attaquer. Je suivais ses cercles infernaux pour ne jamais le quitter du regard, tout en manœuvrant pour me placer dos à l’arbre près duquel était placé le collet.

Rapidement, l’homme comprit mon manège, et il bondit avec un grognement. De nouveau nous nous empoignâmes, et je réussis à lui porter un coup à l’épaule avant qu’il ne bloque mon poignet et ne le torde violemment, m’obligeant à lâcher ma dague, qui tomba à mes pieds. Ainsi bloquée, il m’envoya son poing dans la figure, et je tombais comme une masse, un voile noir devant les yeux.

Je sentis en cet instant que je n’arriverais pas à avoir le dessus dans ce combat, et je tentais une manœuvre désespérée pour détourner l’attention de mon assaillant. Je récupérai ma dague et, au moment où mon agresseur m’attrapait par les cheveux, je tranchais le lien qui retenait le lapereau captif. Celui-ci s’enfuit sans demander son reste, au grand dam de l’homme qui se mit à hurler de rage et de frustration.
Je crus qu’il allait se lancer à sa poursuite, mais il n’en fit rien. J’eus soudain le souffle coupé par une violente douleur dans les côtes, qui me fit relâcher ma dague, et une force me fit rouler sur le dos, face à lui. Il venait de m’envoyer son pied dans les côtes. Je levais instinctivement les bras pour me protéger de la prochaine attaque, mais elle ne vint pas.


Rouvrant les yeux, je vis mon assaillant qui semblait un instant interloqué, puis son regard changea. De l’étonnement, il passa à la convoitise. Il me fixait du regard, l’œil mauvais, avec un rictus qui devait passer pour un sourire malsain. Je réalisais soudain que, au cours du combat, le chignon qui retenait mes cheveux s’était défait, libérant ma crinière blonde ; de plus, le pourpoint élimé et taché que je portais avait été déchiré sur le devant, révélant ainsi ma vraie nature à mon agresseur.

Cette partie du combat est de loin la souillure la plus honteuse que j’eus jamais à subir. Je ne l’ai jamais racontée à qui que ce soit, mais je ne sais si c’est par honte ou par lâcheté. J’ai longtemps porté ce fardeau sur ma conscience, comme un crime que j’aurais commis, alors que dans l’histoire j’étais la victime et non la coupable. Il m’a fallut du temps pour le comprendre, et aujourd’hui je tiens à en parler, pour pouvoir affronter mes démons et oublier cette horreur une bonne fois pour toute.

De nouveau mon agresseur se jeta sur moi, mû par un autre désir que celui de me tuer. Il m’immobilisa les bras d’une main et s’allongea de tout son long sur moi, m’entravant de son propre poids. Dans son excitation il me soufflait son haleine fétide au visage, et je me mis à hurler lorsque je sentis brusquement sa main libre fouiller sous ma tunique pour défaire ma ceinture. J’essayais de me débattre, mais sa poigne était solide, et sa force comme décuplée par son désir. De frustration il termina de déchirer ma tunique, puis il se souleva très légèrement pour se défaire de ses propres vêtements.
Instinctivement, je sus que ce serait ma seule occasion. Rassemblant toute mon énergie, je réussis à lui envoyer le plus beau coup de genoux de toute ma vie, avec un hurlement comme je n’en avais jamais poussé. Je le vis devenir livide et s’effondrer en boule, sur le côté, et tout son corps était secoué de tremblements spasmodiques. Dans un demi-délire, je récupérais ma dague et me jetais sur lui.
Ce qui se passa ensuite fut indescriptible. J’avais l’impression qu’une autre que moi agissait. J’étais là en simple spectatrice, contemplant l’œuvre d’une folle furieuse hystérique et déchainée.
Lorsque je repris pleinement possession de mes moyens, mes mains étaient couvertes de sang et crispées autour de la dague. J’étais agenouillée auprès de mon agresseur, égorgé et défiguré, percé par d’innombrables coups de poignard, étalé dans une mare de sang.
J’ai mis un moment à réaliser que c’était moi qui avait fait tout cela. Horrifiée, choquée, j’ai lâché mon arme, et je me suis enfuie, loin, très loin.


J’avais tué un homme. Plus que cela, je l’avais massacré. En cela j’étais pire qu’un animal.
J’étais au bord de la démence.

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MessagePublié: Lun 13 Avr, 2009 16:58 
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LIVRE 5 – UNE LUMIERE DANS LA NUIT.


Combien de temps cette folie a-t-elle duré ? Combien de temps ai-je erré ainsi, comme une bête, incapable de penser à autre chose qu’à ma survie et à mon prochain repas ? Combien de temps ai-je passé à défier la mort à chaque secondes, me raccrochant désespérément à la vie, alors qu’à la base paradoxalement, je n’avais quitté les hommes que pour me laisser mourir et rejoindre les miens qui m’attendaient là-haut. Il est incroyable de voir à quel point l’instinct de survie peut reléguer au second plan toute possibilité de raisonner… Aujourd’hui je bénis cette faiblesse d’âme qui m’a permis de rester sur ces Terres, et de vivre les moments merveilleux que j’ai connus depuis.

Si je n’ai que peu de souvenirs de l’époque sombre que je venais de traverser, je me souviens néanmoins de la manière dont elle a fini.
C’était lors d’une fin d’après-midi au début de l’hiver. La fraîcheur nocturne commençait à se faire sentir, et la nuit promettait d’être froide. En prévision de l’hiver, j’avais changé mon « terrain de chasse » habituel, pour me rapprocher des hameaux voisins ; plus proche des hommes, plus proche de la nourriture.


Ce soir là, affamée, j’épiais depuis un buisson une maison relativement éloignée des autres, essayant de repérer une entrée dérobée, guettant une occasion, lorsque soudain je vis des lumières s’allumer aux fenêtres, puis une voix, des cris, et soudain des silhouettes se levèrent dans le jardin et se mirent à courir vers la forêt. Quelques secondes après, les cris se firent plus virulents, et une demi-douzaine de personnes surgit à l’angle de la maison, portant des torches et se lançant à la poursuite des fuyards.

Pour moi, l’occasion était trop belle. Je pouvais me glisser aisément dans la maison et dérober des provisions, et quelques vêtements chauds. Avec précautions, je me levais de mon buisson, courrais vers la maison désertée par ses occupants, et entrais sans me faire voir. Je réussis à trouver du pain, un jambon à demi-entamé et une épaisse couverture, que je fourrais dans une besace en toile qui trainait par terre.
Cela ne me prit que quelques minutes, et je ressortais de la maison lorsque j’entendis de nouveaux les voix. Les propriétaires de la maison revenaient.
Je filais en douce avant d’être surprise et regagnait la lisière des arbres ; pour plus de sureté, je m’enfonçais davantage au cœur de la forêt, impatiente à l’idée de pouvoir enfin faire un repas convenable. J’avançais depuis quelques minutes à peine lorsqu’elle me frappa les narines.
Je me figeais, les sens en alerte. Pas un bruit.
Et pourtant, elle était là.
Tenace.
Âcre.
Violente.
L’odeur de la chair qu’on brûle…

Je m’approchais, malgré la nausée qui commençait à monter en moi. Plus j’avançais, et plus je voyais clairement des traces de lutte, de fuite : branchage brisées, brindilles foulées, buissons éventrés… Puis des traces de sang… des marques sur le sol, comme si on y avait trainé une charge lourde… et puis, finalement, alors que le terrain amorçait une légère pente, je les vis. Les corps.
Ils avaient été jetés en vrac, empilés dans un ravin et enflammés. Surmontant mon dégoût, j’essayais d’identifier les choses qui se recroquevillaient sinistrement devant mes yeux, sous l’effet de la chaleur.
Des hommes. Et des femmes. Humains.
Probablement les personnes qui s’étaient enfuies dans le jardin.

Je ne comprenais plus. J’avais connu la haine entre les races. Moi-même je haïssais ces troupes chaotiques qui avaient pris les vies de mon père et de mon frère Kaios, et je haïssais les elfes pour m’avoir enlevé le dernier membre de ma famille, mon frère Ethan. Je pouvais admettre les divergences opposant deux peuples, deux cultures, deux modes de pensées… Mais comment des humains pouvaient-ils faire subir de telles atrocités à leurs propres membres ? Comment deux frères pouvaient-ils s’entretuer ainsi ?
Consternée, je fis demi-tour pour quitter cet endroit sinistre et nauséabond, pour essayer d’oublier cette vision d’horreur… derrière moi, se trouvait un enfant.
Une enfant, plus exactement. Une petite fille d’à peine huit ou neuf ans. Brune, maigre, habillée de guenilles, pieds nus, et blême, blafarde, la peau plus blanche que je ne l’aurais cru possible. Elle fixait le sinistre foyer, et son visage semblait ne refléter aucune émotion. [i]

- « Qu’est-ce que tu fais là ? Reste pas là, ce n’est pas un spectacle pour toi. Rentre chez toi, petite », [i]lui dis-je.
Elle ne me répondit pas, ne détourna même pas le regard vers moi. J’étais intriguée.

- « Eh, je te parle ? Tu es sourde ? Tu ne comprends pas ce que je te dis ? »
Agacée, je voulu lui prendre le bras pour attirer son attention. Je fus stupéfaite : sa peau avait la froideur du marbre.
- « Mais… mais tu es gelée ! Comment tu t’appelles ? Tu es toute seule ? Où sont tes parents ? »

J’essayais de la frictionner pour raviver la circulation du sang sous sa peau, mais rien n’y faisait. Alors, avec un soupir, je m’accroupis près d’elle, sortis la couverture fraîchement acquise et en enveloppais la petite.
- « Tu ne parles pas, ou tu ne me comprends pas ?»

Pour une fois, la petite détourna son regard et deux immenses yeux bleus perçants vinrent se vriller dans les miens, deux grands yeux muets accompagnés d’une foule de questions silencieuses. Encouragée par son intérêt, je voulu faire une dernière tentative.
- « Tes parents ? Où sont tes parents, petite ? »
- « Papa… Maman… »

La petite voix fluette me surprit, si bien que je faillis tomber à la renverse. La petite fille tendait un doigt dans une direction. Je n’avais pas besoin de me retourner pour savoir ce qu’elle pointait ainsi, pourtant, une force m’y obligea.
La petite désignait en plein le brasier.



J’avais emporté l’enfant loin du brasier, loin de cette vision d’horreur, bien décidée à ne la garder que quelque temps avec moi. Le strict minimum. Cette enfant allait me gêner dans mes futurs déplacements. Pire encore, j’allais devoir nourrir deux estomacs, non plus un seul. J’allais devoir dénicher deux cachettes chaque soir. J’allais devoir protéger deux vies. J’avais déjà bien assez à faire avec ma propre personne, je n’allais pas m’encombrer en plus d’un poids mort…
Heureusement, la grotte que j’avais dénichée à ce moment-là, entre deux éboulis de rochers, était suffisamment spacieuse pour nous accueillir toutes les deux. Il me restait une tunique drap grossier et épais, encore à peu près mettable. Je décidais d’en faire une robe pour la petite ; cela ne lui irait pas vraiment, mais au moins aurait-elle moins froid qu’avec les haillons qui lui couvraient à peine le dos.

C’est lorsque je lui enlevais les derniers morceaux de tissu qui la couvrait que j’eus l’un des plus gros chocs de ma vie, et que je compris tout. Je compris la fuite de ces gens. Je compris la haine des villageois. Je compris le massacre et, surtout, je compris le brasier.
La petite avait la cage thoracique enfoncée, et une large plaie lui barrait l’abdomen. Et pourtant, elle était toujours en vie. Mais nul cœur ne battait dans sa poitrine, nul sang ne circulait dans ses veines.
C’était une non-morte.

Comme ses parents, à ce que j’appris par la suite lorsqu’elle se confia à moi. Bien qu’elle restât évasive sur les circonstances, je compris que sa famille faisait partie d’une troupe de commerçants ambulants et qu’ils avaient essuyé une attaque fatale de la part de brigands. Pour quelle raison ses parents et elle s’étaient relevés, avec trois de leurs compagnons ? Impossible à dire. D’après la petite, il y avait une semaine qu’elle se cachait avec ses parents. Rien d’étonnant à ce que je me sois laissée prendre par son apparence la première fois.
Je la contemplais alors qu’elle dormait, la tête sur mes genoux. Habillée, elle ressemblait à n’importe quel enfant du même âge. Son visage était si détendu dans son sommeil, elle avait l’air si paisible.
Pauvre petite…Elle était bien trop jeune pour quitter ce monde ; seulement voila, la seconde existence que les Dieux lui avait offerte se révélait être plus un fardeau qu’un cadeau, dans ce monde qui n’était pas prêt à recevoir ses semblables.
« Quelle ironie… alors que cette enfant cherche désespérément à survivre, moi, égoïstement, je n’aspire qu’à mourir… »


Brusquement, je me révoltais de ma propre conduite. Quel droit avais-je pour refuser ce merveilleux cadeau qu’était la vie, alors que tant d’êtres innocents sur ces Terres en étaient privés ? Qui étais-je pour penser pouvoir disposer à ma guise du don des Dieux ?
Je me souvins alors de mon père, et imaginais son chagrin à la mort de ma mère. Et pourtant, il avait continué à vivre. Mais pas pour lui, pour nous. Parce qu’il avait charge d’âmes.
Tout comme moi, en ce jour. Les Dieux m’avaient ouverts les yeux en mettant cette enfant sur mon chemin, m’indiquant que ma vie ne m’appartenait pas. Je décidais de la mettre au service de cette petite, je décidais de tout faire pour réparer cette injustice, de me battre pour lui permettre de vivre. Parce qu’elle en avait autant le droit que n’importe quelle créature en ce bas-monde.

Je décidais de recommencer à vivre.
Pour elle.

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MessagePublié: Lun 13 Avr, 2009 17:03 
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LIVRE 6 – RENAISSANCES.


- «Viviel. »


La petite fille m’avait prise de vitesse, le lendemain matin. A mon réveil, je l’avais trouvée assise près de moi, penchée, attentive à mon sommeil. Elle attendait ainsi depuis près d’une heure.
Embarrassée, je roulais rapidement le paquetage qui nous avait servi à passer la nuit, et sortis le reste du pain et du jambon pour prendre des forces avant de partir.
Et c’est là qu’elle m’avait posé ses questions, ces exaspérantes questions enfantines qui s’enchaînent en suivant une logique qui vous échappe et sur lesquelles vous n’avez aucune prise, ces inévitables questions que j’appris peu à peu à supporter patiemment, puis à aimer, même à désirer… jusqu’à les regretter.


- « C’est vrai que je suis vivante ? »
- « … Evidemment… »
- « Mhh. »

Un moment de silence.
- « Mais j’ai mouru avec papa et maman. »
- « Je suis morte avec papa et maman. Oui, c’est vrai. Tu étais morte, mais tu es redevenue vivante, en quelque sorte. »
- « Comme si j’étais encore née, comme un bébé. »
- « …Mhh… »
- « C’est le papa et la maman qui disent le nom du bébé, hein ? »
- « < soupir exaspéré > … Mais oui… »
- « Mhh. »

Nouveau silence.
- « Dis… »
- « < vraiment exaspéré > … Quoi ??! »
- « … tu veux bien me donner un nouveau nom ? »
- « … ??? »

Je faillis lâcher la timbale en fer blanc qui me servait à boire, et me reprenant, je me tournai vers la petite.
Son visage était fermé, sévère ; elle était vraiment sérieuse, et je fus frappée de voir un tel esprit d’acceptation chez un enfant de cet âge. Elle avait accepté sa nouvelle existence comme elle avait accepté sa mort… Je n’avais jamais rencontré une personne qui ait un tel niveau de tolérance et d’ouverture d’esprit qu’elle. D’autres aurait considéré cela comme de la naïveté, moi je voyais plutôt cela comme de la sagesse… Peut-être était-ce pour cela que les Dieux avaient figé son existence. Pour que jamais cette petite fille ne grandisse, que jamais son esprit innocent et son cœur pur ne soit confronté à l’intolérance, à la haine et à la colère, à l’affrontement et au mépris, bref, à tout ce qui régissait notre monde d’adulte.


- « Viviel. »

A une petite fille admirable, je ne pouvais donner le nom que d’une femme admirable. La seule femme merveilleuse que j’aurais aimé connaître plus. Ma mère.

- « Viviel. C’est joli, on dirait une princesse. C’est qui, Viviel ? »
- « C’était le nom de ma maman. »
- « Elle était belle ta maman ?
- « Bien sûr… comme toutes les mamans du monde, tu sais… »


Viviel fut ma lumière, le rayon de soleil qui parvint à percer la noirceur de ma nuit de démence et qui réchauffa mon cœur glacé. Elle sut réveiller en moi des sentiments que j’avais cru morts à jamais. Elle devint mon attache, et je m’agrippais à elle comme un naufragé agrippe la planche à laquelle il devra son salut. Je me surpris ainsi, un soir, à la regarder dormir à la lueur tremblotante des flammes, et à remonter sur son épaule la couverture de laine qui avait glissé durant son sommeil.
Quelque chose en moi sentait que mon salut était lié à cette petite chose fragile, qui comptait sur moi pour sa survie. L’instinct maternel ? L’attention d’une grande sœur ? Peut-être un mélange de tout ça…

Peu à peu, malgré moi, je m’attachais à sa présence maladroite, au regard enfantin et naïf qu’elle posait sur les choses. J’avais perdu les miens à 14 ans, avait sombré plus d’un an dans la démence et la folie… Si je ne me trompais pas, je devais avoir presque 16 ans lorsque son chemin croisa le mien. Je ne sais qui de nous deux avait le plus besoin de l’autre lorsque nous nous rencontrâmes ; mais ce qui est sûr c’est que nous nous sauvâmes mutuellement. Deux retours à la vie. Deux renaissances miraculeuses.


Auprès de Viviel, je me sentais plus forte, plus confiante. Ensemble, nous commençâmes à sortir des bois, à revenir à la civilisation. En deux ans, les choses n’avaient pas tellement changé. La guerre, la faim, les impôts… restaient toujours les préoccupations principales de chacun. Je faisais passer Viviel pour ma cousine (car nous étions trop dissemblables pour être sœurs), à la recherche d’un parent porté disparu lors de la guerre ; ce qui n’était pas totalement faux, car j’avais encore l’espoir de retrouver mon frère Ethan… parfois nous croisions de vrais convois de réfugiés, et des souvenirs douloureux s’éveillaient en moi… mais le regard confiant que m’adressait alors ma petite Viviel, et la pression de sa main dans la mienne chassaient bien vite ces images du passé.


Ensemble, nous parcourûmes les Terres du Lorndor pendant plusieurs saisons, jusqu’à ce que, par une chaude après-midi d’été, je vis à l’horizon des montagnes formant un paysage qui ne m’était que trop familier. Au fur et à mesure de notre progression, je reconnus la vallée, puis les bois, puis la plaine, la rivière… et enfin, les vestiges de Thendalle… les ruines de mon village.

J’avais raconté à Viviel ce qui m’avait conduite à mener l’existence qui était la nôtre… ou plutôt, la petite futée avait réussi à me tirer les vers du nez. De sorte qu’elle avait parfaitement compris la signification de mon arrêt au milieu des ruines, et elle respectait les quelques minutes de silence dont j’avais besoin.
Je déambulais un instant entre les tas de pierre, entourées par les fantômes du passé. Auprès de moi passaient les hommes de notre village, courant de barricades en barricades ; je sentais sur ma nuque filer les flèches des assaillants et des défenseurs ; je marchais au milieu du champ de bataille, voyant les hommes tomber les uns après les autres… j’arrivais à un monticule de pierres plus haut que les autres surmonté d’une croix. Les fantômes autour de moi disparurent tandis que je lisais la plaque grossière en métal qui y était apposé.
« Ici moururent ceux du village de Thendalle, en défendant ceux qu’ils aimaient plus que tout. »

Qui avait apposé la plaque ? Sûrement l’un des survivants. Un de ceux que j'avais quitté subrepticement l nuit qui suivit cette terrible bataille. Je me sentais mieux, le sacrifice des nôtres ne serait pas oublié…
Soudain, alors que je reposais la plaque, mon regard croisa la croix.
Mon cœur fit un bond dans ma poitrine.
Ce n’était pas une croix, qui était plantée dans les pierres.
C’était une épée.
Vieille, émoussée, sale…Mais je l’aurais reconnue entre mille.
L’épée de Père.


Mais comment avait-elle pu arriver là? Mes derniers souvenirs la concernant remontaient au moment où mon frère Ethan nous avait quittés pour rejoindre les forces "salvatrices". Mala me l'avait confirmé elle-même... Alors, qui avait pu ramener cette épée ici? Ethan?
Y avait-il encore une chance pour que mon frère soit vivant?

Dissimulant mon trouble à Viviel, je pris l'épée en main. Je la pris en tremblant, la dépoussiérai. Elle était dépolie, mais un bon forgeron lui redonnerait son éclat d’antan. Avoir cette épée en main m’apaisa. Comme si je venais d’accomplir mon devoir.

L’épée me revenait finalement. L’héritage des De Parravon. La boucle était bouclée. Ma route était tracée. Tant que cette épée serait à mes côtés, les miens me suivraient. Tant que je m’en servirais, elle parlerait en leur nom.
Soulagée, je me redressais et rejoignais Viviel qui m’attendait un peu plus loin. Pour la première fois, le poids qui oppressait ma poitrine s’estompa. Pour la première fois, j’envisageais de fermer la porte au nez des démons de mon passé et d’avancer sereinement vers l’avenir... avenir qui me rapprocherait peut-être d'Ethan, qui pouvait le dire?


Silencieusement, je pris Viviel par la main, et nous quittâmes la plaine des souvenirs sous un soleil radieux.

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MessagePublié: Lun 13 Avr, 2009 17:07 
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LIVRE 7 – UNE FAMILLE.


Il me semble qu’une année presque entière s’écoula entre mon éprouvant retour à Thendalle, et l’évènement qui m’entraîna dans la voie que j’arpente toujours maintenant. Une année, oui…

Grâce à ma petite Viviel, je pus reprendre un décompte du temps bien plus précis que ce que je pouvais estimer pendant mon exil. Pour elle, je réinventais les saisons. Pour elle, je célébrais à nouveau Nowel, anniversaires, la Chante-lueur, Paack’he, et toutes ces fêtes qui peuplaient jadis mon enfance… Bien sûr, je faisais cela simplement parce que Viviel était encore jeune et que cela aurait été cruel de ma part de l’en priver ainsi… mais avec du recul, je crois que j’aurais été capable de tout pour voir apparaître un sourire sur son adorable visage. Quelque chose en moi avait été réveillée, entamant un long processus de transformation. Plus qu’un simple passeport ou qu’une couverture à mon existence, Viviel en était devenu la clé.



Notre situation commença à s’améliorer au début de l’hiver de cette année là. Alors que nous avions repris la route très tôt ce matin là, grelottant un peu au souvenir de la nuit froide que nous avions passée clandestinement dans une grange aux planches mal jointoyées, nous aperçûmes dans un champ au loin une charrette et un cheval, couché, visiblement dételé. Nous nous approchâmes, espérant trouver là au moins un feu pour nous réchauffer un peu… pas de feu, le campement semblait à l’abandon. Laissant Viviel rejoindre l’animal, je me dirigeais vers la petite roulotte, cherchant son propriétaire, lorsque j’entendis la petite m’appeler.
Elle venait de trouver quelque chose entre les pattes du cheval qui hennit doucement à notre approche. Ecartant une mince couverture, je vis alors un misérable vieil homme roulé en boule. Le malheureux était mort de froid… au sens propre du terme. Il avait certainement cherché une ultime source de chaleur auprès de son cheval. En vain.

Cherchant dans la roulotte de quoi lui donner une sépulture décente, je trouvais un petit atelier composé d’un établi et d’une meule de pierre… un rémouleur…



- « Un quoi ? »
- « Un rémouleur, Viviel… c’est celui … qui passe de village … en village et propose… han… ses services… il ré-aiguise tout ce qui… en a besoin… ouf… »

Je répondais à Viviel tout en achevant de creuser une fosse sommaire dans la terre gelée et dure comme de la pierre. Puis nous y déposâmes le corps du malheureux vieillard, lui ôtant une vieille médaille qu’il avait au cou. La tombe refermée, Viviel planta une croix qu’elle avait faite avec deux branchages, et en guise de nom, j’accrochais le collier de cuivre rouillé. Puis j’attelais le cheval a la charrette, et c’est ainsi que nous prîmes la route, laissant derrière nous une sépulture anonyme, un médaillon dansant dans le vent glacé qui commençait à se lever.


Nous étions devenues deux marchandes itinérantes, ce qui avait pour avantage de nous procurer un abri pour la nuit et un revenu, maigre, certes, mais suffisamment régulier pour nous permettre de manger 1 à 2 fois par jour. Viviel avait développé une certaine habileté au braconnage, de sorte que la viande ne nous manquait pas trop. Bien sûr, nous nous déplacions plus lentement, restant sur place 2, 3 jours, voir plus, suivant la taille du village ou du bourg où nous nous arrêtions ; et sur les routes, non plus à couvert, ce qui nous exposait aux bandes de rôdeurs et de brigands, mais j’espérais que l’aspect misérable de notre convoi suffirait à détourner leurs envies belliqueuses.

Quand aux villageois qui nous regardaient parfois d’un air suspicieux, je leur servais l’image de l’épouse en pleurs, seule, avec une enfant à charge, obligée de reprendre l’activité de son mari parti pour la guerre pour survivre ; je dépeignais alors le portrait d’Ethan pour décrire mon supposé époux, espérant que quelqu’un puisse le reconnaître… J’avais alors 18 ans, et Viviel en semblant toujours 8, je la présentais comme la jeune sœur de mon époux, dernière de la famille. Mais généralement, les gens se souciaient peu de la vie de deux misérables comme nous, des réponses évasives leur suffisaient parfaitement.
Parfois, pourtant, nous avions la chance de croiser le chemin d’une personne charitable, qui nous proposait le gîte ou le couvert, exceptionnellement les deux, en guise de paiement. Cela nous permit de ne pas passer trop de nuit à la belle étoile durant l’hiver, et de voir revenir les beaux jours avec sérénité.



Un soir de printemps, nous avions fini de manger notre frugal repas, et, comme tous les soirs, je passais en revue mes outils, les huilant avec soin, tout en chantant de vieux cantiques avec Viviel.
La petite s’était découvert une passion pour la musique et pour le chant. Je lui avais transmis tout ce que j’avais appris enfant, tous les chants et comptines dont je me souvenais, et l’art de chanter à plusieurs voix. Viviel, comme tous les enfants de son âge physique, avait une charmante voix haut perchée et cristalline qui, un peu travaillée et confortée, devint une très belle voix de soprano. J’appréciais aussi les aigus, mais ma voix ayant mué, j’étais plus proche du mezzo soprano. Nous aimions ainsi chanter le soir, à deux voix, toutes sortes de morceaux, et nous formions alors un assez joli duo.

Ce soir là, donc, nous chantions joyeusement un de mes chants favoris, « Si mort à mors » lorsque Voleur se mit à gronder.
Voleur était une sorte de gros chien-loup que nous avions recueilli à la fin de l’hiver. En braconnant, Viviel était tombé sur l’animal, pris dans un piège à loup. Avec ses deux grands yeux muets, elle m’avait convaincue de libérer et soigner l’animal, ce que nous fîmes avec la plus grande des difficultés, vu son caractère sauvage et agressif. Il s’enfuit sans demander son reste, cette fois là… mais nous passâmes plusieurs soirées à voir deux points jaunes nous fixer dans les taillis, avant que je ne voie un matin Viviel ramasser prestement un vieux sot qu’elle avait laissé près du feu la veille… La petite futée nourrissait la bête depuis plusieurs soirées. Petit à petit Voleur devint plus hardi, s’approcha peu à peu de nous, jusqu’à ce qu’un soir, il accepta de recevoir de la nourriture de la main même de Viviel.
Je fis mine de céder à l’enfant pour garder Voleur près de nous, mais en réalité, j’étais assez soulagée de l’avoir. Son allure imposante et inquiétante repoussa plus d’un vagabond louche ou tout autre individu mal intentionné à notre égard.


Nous fîmes immédiatement silence en entendant les grondements. Je regardais notre cheval, lui aussi semblait inquiet. Sers oreilles bougeaient en tous sens et il secouait la tête avec force. Je regardais Viviel, qui partit se mettre à l’abri dans la carriole, tandis que je prenais mon épée, que j’avais eu tout le loisir de remettre en état pendant l’hiver.
Soudain, une flèche empennée de noir frôla mon visage et vint se planter dans le bois de la charrette juste derrière moi.

Me retournant, j’aperçus deux archers à la peau blafarde, revêtus d’habits sombres… Et d’autres yeux dans les fourrés…
Des Drows !
Je n’eus que le temps de bondir sous la carriole pour éviter leurs traits, qui vinrent se ficher dans les roues à quelques pouces de moi.

Voleur, lui, se jeta sur l’un des archers qui, gêné par son carquois, ne put se défendre suffisamment… il eut la gorge arrachée par l’assaut, et s’effondra, le sang coulant à flot de sa gorge.
L’autre archer par contre, avait eu le réflexe de jeter son arc pour dégainer le poignard effilé qu’il portait à sa ceinture, et lorsque le chien loup passa à sa portée, il le lui planta dans le flanc… Voleur s’effondra en gémissant dans l’herbe qui rougit immédiatement.

Tout cela se passa en moins de deux secondes, m’empêchant de réagir aussi vite que je ne l’aurais voulu. Mais en voyant tomber Voleur, je me relevais et me précipitais vers l’archer resté seul… lorsque quelque chose me dépassa. Du coin de l’œil je vis passer une tâche mauve et brune… Viviel !
Elle avait bondi en même temps que moi, avec à la main l’épée courte que je lui avais fabriquée à partir d’une vieille épée cassée et émoussée que jetait un jeune noble, pour qu’elle puisse se défendre au cas où lorsqu’elle braconnait. Elle se jeta sur l’archer, surpris de voir une enfant de 8 ans foncer droit sur lui.
Je voulu l’aider, lorsque je vis un mouvement dans les taillis… trois silhouettes sombres… les autres Drows aussi se jetaient dans la bataille …

Je m’interposais entre eux et le dos de Viviel, trop exposée, prête à recevoir leurs assauts. J’étais obligée de laisser Viviel se débrouiller face à son adversaire si je voulais la protéger efficacement des autres. Je devais lui faire confiance, croire en ses capacités, en ce que je lui avais appris, pour me concentrer sur les trois autres assaillants.

L’un d’eux s’approcha de moi, suivi par un deuxième, tandis que le troisième restait à l’écart… Je fis tournoyer ma lame en poussant un cri de défi, prête à les accueillir comme il se devait. Je pris de front les deux assassins qui maniaient l’un une lance, l’autre une épée courte, et je manœuvrais de sorte qu’ils se gênent mutuellement pour se mouvoir. J’entendis soudain derrière moi un double cri, un cri aigu et un râle plus grave…


- « Viviel ! »

Je ne pouvais pas me retourner… seul le silence me répondit… un silence lourd, angoissant. Comme dans un rêve, en une fraction de seconde, je revis la mort de mon père, celle de Kaios, la perte d’Ethan… ça n’allait pas recommencer… non ! Pas encore !! Je n’allais pas de nouveau perdre une personne qui m’était chère !

Hurlant de rage, je repoussais l’assaut que me portaient encore les deux Drows, serrant les dents lorsque la pointe de la lance me transperçait le bras gauche. Sous la poussée de fureur qui m’avait envahie, mes deux assaillants étaient tombés à la renverse ; ignorant la douleur qui me vrillait le bras, je transperçais le cœur du Drow au sol qui tenait encore son épée, puis me retournait vers celui à la lance, qui déjà se redressait sur un genou. Ignorant si Viviel avait gagné son combat, ou du moins si elle avait mis hors service son adversaire, je lançais ma jambe aussi loin que possible et frappait du pied mon adversaire en pleine tête, qui roula sur lui-même et s’immobilisa. C’est alors que j’entendis des marmonnements étranges et gutturaux… j’avais oublié le troisième Drow ! Relevant la tête, je le vis qui terminait son incantation, un forme aura sombre se forma autour de sa main…

Je soufflais un bon coup. C’était trop tard, il allait lancer son sort… il était trop loin pour que je puisse l’atteindre et lui porter un coup avant la fin de son incantation… Viviel devait être morte maintenant… je tombais à genoux, essoufflée, le bras à présent ankylosé par la douleur, vaincue… acceptant l’issue du combat…


Soudain, un sifflement… le sourire du mage se crispa, il s’immobilisa, et tomba à la renverse, une flèche fichée dans le front.
Je restais là, interloquée, ne comprenant pas ce qui venait de se passer. Soudain on me prit l'épaule. Je levais machinalement la tête, et je vis une elfe, vêtue de bleue, je vis sa bouche, je vis qu'elle me parlait... que disait-elle donc?

D'un seul coup, le son me revint, et je réalisais en sursautant que j'avais vécu le combat dans le silence le plus complet qu'il m'ait été donné de vivre...


- « Vous êtes blessée? Ohé ! »
- « Je... oui... Viviel... Viviel ! »

Je voulus m'arracher des bras de celle qui essayait de me relever, pour me retourner vers ma petite Viviel, mais brisée par l'émotion je retombais sur un genou... pour voir un étrange spectacle. Un groupe d'une dizaine de personne s'affairait autour de nos maigres possessions. Groupe étrange, formé de nains, elfes, humains, d'orcs, de trolls... si différents, et pourtant, si proches les uns des autres... comme... comme des frères les uns pour les autres...

Soudain, je remarquaisd un être humain, à genou, auprès d'une masse mauve et noire... aidée d'un troll, ils soulevèrent une forme sombre, et je reconnu avec peine dans ce pantin désarticulé l'archer Drow que ma douce Viviel avait chargé...


- « Viviel... »

Je frémis, mes yeux s'aggrandirent de frayeur. Après avoir rejeté le corps du Drow sur le côté, les mains de l'homme s'approchèrent de la forme mauve que je reconnaissais être le vêtement de ma petite... Intérieurement, je me mis à prier pour qu'elle soit morte pendant le combat, espérant que personne ne remarquerait que nul sang ne s'écoulait de sa poitrine défoncée, que nulle chaleur n'animait plus ce corps depuis longtemps... Qui sait quels sévices pouvaient lui être infligés si on découvrait sa non-existrence...
Les mains s'approchèrent encore et touchèrent le tissu mauve.


- « Non !! il ne faut pas... non ! »

L'homme surpris se retourna vers moi, mais mes yeux brouillées de larmes m'empêchèrent tout d'abord de voir son expression... La jeune elfe me releva à nouveau, avec force phrases apaisantes, aidée par un de ses semblables, et nous nous approchâmes de ma Viviel... Nous passâmes devant Voleur, compagnon d'infortune qui avait payé de sa vie son dévouement...
L'homme se tourna à nouveau vers moi et je faillis hurler... la moitié gauche de son visage avait été arrachée, et sous le foulard qu'il portait nouée autour du cou, je voyais une déchirure profonde et régulière qui, je le devinais parcourait toute sa gorge.


- « N'ayez crainte, elle est toujours des nôtres... ses blessures auraient été fatales pour un vivant, qui se serait vidé de son sang, mais pour elle, ce ne sera pas grand chose... Juste un mauvais souvenir. »
- « Mais ... vous... »
- « Oui, moi aussi. Maintenant allez vous reposer, vous avez perdu trop de sang, vous devriez vous allonger. » répondit-il gentiment, avec un sourire calme et franc.

J'eus immédiatement confiance en ces gens. Leurs gestes étaient doux et simples, leurs sourires honnêtes et vrais... et pour la première fois depuis longtemps, je ne perçus aucune fausseté, aucun mensonge, aucune tromperie dans leurs actes.
Je m'abandonnais entièrement aux bras qui me hissaient dans ma carriole et m'y allongeaient avec douceur. Des mots furent chuchotés dans une langue inconnue et chantante, des mains se posèrent sur moi, légères comme la caresse de plumes, et une chaleur bienfaisante se répandit en moi...

Avant de céder au sommeil, j'eus la force de poser une ultime question:


- « Qui... qui êtes vous? »
- « Dormez. Nous veillons. Nous sommes les Chevaliers de la Peste Noire. »

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MessagePublié: Lun 06 Juil, 2009 12:45 
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LIVRE 8 – CONVALESCENCE


J’ouvrais les yeux dans une chambrée calme et fraîche par une belle fin d’après-midi. Allongée dans un lit aux draps fins et doux, je reprenais lentement conscience, les évènements récents me revenaient peu à peu en mémoire… l’attaque des Drows… mes blessures… Viviel… l’arrivée miraculeuse des secours…

Tournant la tête, je détaillais la pièce dans laquelle je me trouvais. Les murs de grosse pierre laissaient présager d’une construction lourde et solide. Quelques tentures accrochées ça et là adoucissaient l’austérité des lieux par leurs couleurs douces et bien assorties. Quelques meubles, simples, mais de bonne facture, venaient compléter la chambrée, qui était baignée par la chaude lumière de fin du jour qui entrait dans la pièce via une petite fenêtre.

- « Tu es réveillée ! »

La voix de Viviel résonna derrière moi. Je tournais la tête, mais pas assez vite pour voir passer une masse brune devant les yeux, tandis qu’un lourd poids me tombait sur l’estomac… Viviel… ma petite Viviel... « vivante » (enfin si je pouvais dire…)
Mes bras se serrèrent autour d’elle et je la pressais tout contre moi, sentant ses cheveux avec force et cette odeur fraîche de violette qu’elle avait toujours sur elle... un parfum que j’avais cru ne plus jamais pouvoir sentir… un parfum qui aujourd’hui encore fait remonter en moi nombre de souvenirs, certains doux… d’autres plus terribles…
Nous passâmes de longues minutes serrées l’une contre l’autre, moi la respirant, elle nichant son visage dans mon cou… des retrouvailles intenses… prenant enfin pleinement conscience de nos liens et de l’importance que nos vies avaient l’une pour l’autre.

- « Ah non ! Descends de là tout de suite ! »

Une naine visiblement âgée venait d’entrer dans la pièce, portant une pile de serviette blanche d’une main et un broc de l’autre, et visiblement très mécontente de voir Viviel juchée sur mon estomac. Elle posa ses affaires sur un meuble, et tout en bougonnant d’une voix bourrue, elle revint vers nous, tandis que Viviel se dépêchait d’obéir à celle qui passait pour une redoutable matrone… en apparence, du moins.


En parlant avec elle tandis qu’elle examinait et refaisait mes pansements, j’appris que je me trouvais avec Viviel en la demeure de ces Chevaliers de la Peste Noire qui étaient venus à notre secours. Une semaine avait passé entre notre sauvetage et mon éveil. Au cours du voyage qui nous avait permis de rejoindre leur domaine, mes blessures s’étaient infectées et j’avais eu de la fièvre. J’avais même passé une journée à délirer, en dépit des soins qui m’étaient prodigués, et au grand désespoir de Viviel.
Je remerciais mon infirmière pour ses soins, et désireuse d’écourter notre séjour parmi les Chevaliers, n’ayant pas les moyens de les dédommager pour leur accueil, je voulus me lever, m’appuyant sur Viviel.

- « Mais ?! Je peux savoir ce qui vous prend là ? Vous tenez vraiment à rouvrir vos plaies, ou quoi ?! Aaaah, ça, mais vous allez vous recoucher, et plus vite que ça ! Allez ! couchée, ou je vous jure que c’est moi qui m’en charge ! »
- « Je vais tout à fait bien maintenant, je vous jure… Je vais…aille ! »
- « Alors si vous allez tout à fait bien, moi, je suis la petite sœur de Malgr. Alors, zou ! Au lit, nom d’une pipe en bois ! »

La naine (Myrna, comme je le sus plus tard) me borda à nouveau, tapota fortement mon oreiller, tournant autour du lit avec sa démarche un peu claudicante, agitant les bras frénétiquement et dépensant son énergie sans compter, telle une tornade dans la pièce.
- « Mais… je… nous ne pouvons pas rester… »
- « Mais pourquoi, mille milliards ?! »
- « Parce que… parce que nous ne pourrons jamais vous dédommager pour tout ça… »
- « Nous quoi ???! »



Après son départ, qui ramena un peu de calme dans la chambre, je demandais à Viviel de me parler de ces Chevaliers. Elle ne se fit pas prier et, assise sur le lit, commença à me raconter ce qu’elle avait vécu durant là semaine où j’étais inconsciente. Et ce qu’elle me décrit à ce moment-là me stupéfia au plus au point.

Elle me parla d’un groupe de gens, capables de vivre en harmonie en oubliant leurs différences. Elle me parla d’un groupe de frères et de sœurs, proches, soudés même, s’entraidant en cas de besoin. Elle me parla enfin d’une communauté d’êtres, vivants ensemble en totale autonomie, organisés en une structure solide.
Et tandis que Viviel me parlait, heureuse, volubile, s’égarant dans mille et un détails, perdant plus d’une fois le fil de ses pensées, m’étourdissant de ses paroles folles et incessantes, il me semblait voir naître sous mes yeux une société idéale.
Une société où chacun était libre de vivre, où chacun avait, surtout, le droit de vivre. Une société qui ne regardait pas l’apparence des gens pour les juger, une société qui était prête à accepter toutes les différences et qui en sortait renforcée. Une société ouverte sur le monde et sur son évolution, une société en avance sur son temps, qui n’avait rien à voir avec la société que Viviel et moi avions fuit depuis maintenant deux ans, dans laquelle nous avions du nous battre pour survivre, dans laquelle moi-même je m’étais battue de toute mes forces pour protéger ma petite…


Et malgré tout ce que j’avais essayé de faire, malgré tous mes efforts pour lui permettre de vivre tout en la tenant à l’écart de la vindicte populaire, de la haine et de la peur des gens, j’avais bien failli la perdre à tout jamais… ma Viviel…
Je passais la main dans les cheveux de la fillette non-vivante, dans les yeux de laquelle je voyais pourtant luire à cet instant précis une étincelle si belle, si lumineuse, si forte, qu’elle ressemblait furieusement à la vie… une vie qu’elle croquait à pleines dents, sans se poser de questions, profitant de chaque jour comme s’il était unique, acceptant avec sagesse toutes les choses qui lui arrivaient comme autant de cadeaux de la vie…

Mon geste la fit s’arrêter de parler, surprise… je n’avais que rarement ce genre d’attention envers elle, et elle me regarda, muette, ses grands yeux bleus d’enfant tournés vers les miens.
Peut-être que j’avais atteint mes limites.
Peut-être que cette rencontre, avec ce clan, n’était pas due au hasard.
Peut-être devais-je y voir un signe.

- « Viviel… »
- « Non. »

Surprise.

- « Non quoi ?»
- « Je reste avec toi. »

Soupir.

- « Viviel… c’est sûrement ta meilleure chance. Ici tu ne seras pas obligée de te cacher, de mentir, de trembler quand tu entendras des pas… ici tu as une chance de te reconstruire une vraie famille… »
- « Je l’ai déjà, ma famille… c’est toi. Je veux rester près de toi. »
- « Viviel … »
- « Tu me l’as promis ! Tu m’as promis que tu serais toujours là pour moi ! »
- « Oui, je te l’ai promis… mais regarde… je n’ai pas su te protéger contre les Drows… si les Chevaliers n’étaient pas arrivés à temps, je n’aurais pas pu tenir ma promesse… Avec eux, tu serais en sécurité… »
- « Avec toi je suis heureuse… » Une petite larme commença à se former au coin de son œil. « A moins que… que … tu ne veuilles plus de moi… » La petite larme fut bientôt suivie par une autre, et une autre, et bientôt ses joues furent inondées de larmes… Mon cœur se serra dans ma poitrine, comme broyé dans un étau.
- « Viviel ! »

Je la pris violemment dans mes bras et la serrait de toutes mes forces. Comment pouvais-je ne plus vouloir d’elle… ma petite Viviel… mon rayon de soleil… celle qui m’avais permis de revenir à la raison, de reprendre goût à la vie… ma petite puce pour qui j’aurais été prête à tout faire, à tout donner, pour la voir vivre et la savoir heureuse… et que j’étais prête à perdre, malgré le déchirement que cela allait être pour moi, pour qu’elle puisse avoir l’existence qu’elle méritait…

- « Ma chérie… » J’appuyais sa tête dans mon cou, tandis qu’elle sanglotait ; et chacun de ses sanglots se répercutait en mon cœur qui saignait comme s’il avait été lardé de coups de dague…
- « Je ne veux pas que tu me laisses toute seule ! »
- « Je ne peux pas t’emmener avec moi ! »
- « Pourquoi ne pas rester, toutes les deux ? »

La voix grave et posée nous fit sursauter. Nous n’avions pas entendu que quelqu’un était entré dans la pièce.
Tournant la tête, Viviel toujours contre moi, je vis un homme, les bras croisé, nonchalamment appuyé d’une épaule contre l’encadrement de la porte. Assez grand, brun, bien bâti, le visage sec et dur, des yeux noirs et sombres qui nous regardaient pourtant d’un air très doux.
Viviel sauta rapidement du lit et se tint droite, très sérieuse, pendant qu’elle essuyait ses petites joues humides du revers de la main.

- « Bonjour, Seigneur Fenriz. »
- « Je t’ai déjà dit de ne pas faire tant de manière, petiote. Fenriz suffit amplement. » Il lui ébouriffa gentiment les cheveux, amusé de la voir presque au garde à vous, puis se tourna vers moi, saluant de la tête.
- « Nous n’avons pas encore été présenté. Je suis Fenriz, dirigeant des Chevaliers de la Peste Noire. Soyez la bienvenue chez nous. »
- « Merci à vous. Je me nomme Syhl et Viviel est ma… » Je m’interrompais, ne sachant pas ce que ma petite avait pu dire à ces gens.
- « Votre nièce, elle nous a dit, oui », compléta Fenriz avec un sourire et un regard qui montrait qu’il n’était pas dupe de notre mensonge.
- « Ecoutez, je ne voudrais pas paraître grossière, mais… en toute honnêteté, je ne sais pas comment faire pour vous remercier de votre accueil… et de vos soins… je ne voudrais pas abuser de votre hospitalité plus longtemps, et… »
- « Non, c’est vous qui allez m’écouter. Nous ne faisons pas payer notre aide, ma Dame. C’est contraire à notre honneur. J’étais venu prendre de vos nouvelles… et vous proposer un marché, qui, de ce que j’ai pu entendre malgré moi de votre conversation, pourrait vous intéresser… Vous semblez avoir besoin d’aide, ou tout du moins, d’un abri… et moi, j’ai besoin de quelqu’un pour aider notre forgeron et le soulager dans ses travaux. J’ai vu votre matériel, j’ai vu cette petite épée courte que vous avez réalisée pour la petite Viviel… vous vous débrouillez dans le travail du métal. Vous pourriez nous aider en réaffutant nos armes et en effectuant divers petits travaux de réparation pour nous. Et rester ainsi le temps qu’il vous plaira. Je ne vous demande pas une réponse tout de suite. Prenez le temps de vous remettre, vous me donnerez votre réponse une fois sur pied. »

Il nous salua et sortit, croisant la naine Myrna qui revenait et qui s’emporta de voir du monde dans la chambrée. Bougonnant et pestant, elle envoya Viviel « s’amuser ailleurs » et m’obligea à boire un affreux remède âcre et froid qui m’apaisa bientôt et me fit somnoler.

Pour la première fois depuis près de quatre ans que j’avais perdu les miens, je m’endormais avec l’espoir, enfin, d’un possible avenir heureux.

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