Quoi que je fasse, elle n'est jamais satisfaite. Une maitresse comme elle, je n'en veux plus. Elle a promis pourtant. Au debut, cinquante ames, qu'elle m'a dit. Puis au moment d'achever le dernier, elle reclama plus d'ames. Apparemment, prix du rachat d'une ame avait augmente, parce que j'etais trop lent. Est ce ma faute a moi, si je suis dur au mal, mais si faible? Surement, je me suis dit. Alors j'ai travaille, besogne, tachant au plus vite de lui offrir plus. Une fois a la centieme victime, elle a a nouveau invoque cette foutue inflation. Malgr semble avoir un drole de sens de l'humour, me dit elle alors. J'ai souri tristement, et repris ma terrible ouvrage, et l'histoire s'est repetee pour la troisieme fois. Au jour d'oter la deux centieme vie des habitants de ces terres, je sais qu'elle va revenir, et je sais ce qu'elle va dire.
J'ai arpente ces terres durant des annees, participe a des conflits gigantesques, ecrase des innocents et vu mes amis et allies perir avec peur, fierte ou honte, selon leur complexion. J'ai assiste aux tourments des vivants, a leurs moments de tendresse, a leur farouche volonte de combattre, de s'acharner face a l'adversite ultime de sa venue, et perdre. J'ai vu la douceur des plaines du pays gnome, la majeste des terres taurens, la rudesse du desert grunt, et la fierte humaine, la vanite et la grandeur de tous ces peuples. Et aujourd'hui, a l'heure de voir ma part du pacte accomplie pour la quatrieme fois, je sais deux choses: elle va mentir a nouveau, et je ne veux plus continuer.
Le guerrier qui me fait face est extenue, il peut a peine lever son arme. Il a resiste longtemps, mais son armure n'est plus qu'un souvenir, et son epee brisee n'inspire aucun espoir. Mon geste a demi esquisse s'est arrete, et Crovax ne l'a pas encore vu. Il attends le tourbillon de vent qui ne va pas manquer de balayer cet etre. L'humain, lui, m'observe. Il a compris. Mon bras retombe le long de mon corps, et, lentement, je tourne les talons, et m'eloigne. J'ai a peine fait quelques pas qu'un rale parvient a mes oreilles. A moins ne suis-je pas responsable de celui-la.
Ce soir, au campement, je crois qu'ils ont compris. J'ai vu Crovax m'observer en silence, avec ce qui semblait de la tristesse; je pense qu'il ne dira rien a K-nibal, mais il doute. Il a raison. Je ne peux pas faire ca a ceux qui restent de mes camarades. Me levant en silence, je traverse le camp, et penetre dans la tente de notre chef. Les autres officiers s'y trouvent deja, etudiant les plans d'amelioration de Naglimur, et Petisca peste, parce que sa chambre sera acote de celle de Robert le Depiauteur, et que les odeurs de tannerie, meme un grunt, ca l'empeche de dormir. K recoit des missives d'emissaires d'autres clans de la Confederation, delegant a War3lover, son second, la responsabilite de l'administration courante du clan. A voir son visage defait, on devine que le mage est plus a l'aise sur le champ de bataille, et prefererait cent fois affronter dix Klones, que nos dix officiers.
Je m'approche de K-nibal, alors qu'un envoye WGT lui remets les dernieres informations du front. Je detache la broche qui retient ma cape, et lui tend l'entrelac metallique, symbole de mon rang parmi les Norns. J'attends, la main tendue, pendant qu'il lit la missive. Lentement, il abaisse les feuillets, et demande, d'un air agace: "Qu'est ce que ca veut dire?".
"Nous avons lutte ensemble longtemps, mon capitaine, et souhaiterai, au nom de cette anciennete, m'entretenir avec toi en prive."
"Je n'ai rien a cacher a nos freres, Pindesucre. Si tu as quelque chose a dire, parle devant eux." Son regard s'est fait dur, et un profond soupir m'echappe. Ce sera plus dur que je le pensais. Ils m'observent a present. Sauf Petisca qui peste sur le respect du aux anciens, et qu'une odeur pareille, c'est bon pour un Troll, et encore... avant de s'interrompre.
"K-nibal notre chef, je renonce aujourd'hui a mes fonctions d'officier des Norns. Je te demande de bien vouloir me trouver un remplacant, et je sais qu'il ne manque pas de guerriers de valeur dans nos rangs pour reprendre ce flambeau, et en preserver la flamme mieux que je n'ai su le faire." En ces termes, je m'adresse au grand Tauren. J'espere qu'en gardant un formalisme idiot, j'eviterai des questions genantes. Son visage est impassible, et il ne prends toujours pas mon insigne. Je ne sais litteralement pas sur quel pied danser, faisant passer mon poids d'un pieds sur l'autre; j'inspire un immense bol d'air.
"Je te demande egalement de prendre acte de mon depart des Norns."
Cette fois, son regard semble se troubler, mais peut etre est ce mon imagination... Il se retourne, pensif, tout en rendant a l'envoyer ses papiers.
"Retourne chez ton chef, et dis lui que tout sera pret en temps voulu."
Ca ne s'est pas si mal passe, apres tout. Je recule, et me dirige vers la sortie. Au moment de deposer mon insigne sur la table, K-nibal m'interpelle.
"Pourquoi?"
Interdit, le poids qui s'etait envole a tire d'aile de ratterrir brutalement sur mes epaules. Un ange passe, avant de s'enfuir effraye par l'auditoire.
"Je ne veux plus tuer. Je ne veux plus prendre part a ces massacres. Je ne peux plus, et je ne suis pas fait pour ca..." Je reprends mon souffle. "Je m'en vais, je n'ai jamais ete fait pour ca, regardez moi! Hiti est un meilleur lanceur de sort, et je serai bien incapable de vaincre Estihi dans le moindre face a face, je suis moins malin que nos ash'amans, et moins fort que nos eclaireurs! Vous n'y perdrez rien!".
Ma voix s'est presque transformee en plainte. Je me sens pathetique, a trahir ainsi mon peuple, mes freres, ma seule famille en Lorndor. Je n'ose quitter des yeux le grand Tauren, de peur de surprendre le reproche dans le regard de mes anciens compagnons d'armes. "Je t'en prie, laisse moi partir, et accomplir ce qu'il me reste de destin ici-bas." Mon menton tombe sur ma poitrine, et je chuchote presque ces mots. "Je dois retourner d'ou je viens, mon ami, je dois essayer de retrouver la part d'ame en moi dont vous avez reveille l'etincelle. C'est un combat qui m'appartient, et dont je ne reviendrai pas... mais ou que je finisse, et jusqu'a la fin de ma damnation, je resterai pres de vous en pensee."
J'ai quitte le campement au milieu de la nuit, pour eviter d'avoir a rencontrer quelque ancien compagnon desireux de me retenir, ou m'insulter.
Arrive sur les hautes terres du Royaume Undead, j'ai depose mes affaires au sol. Surplombant les terres mortes, je me suis arrete un long moment, contemplant un territoire que j'ai defendu, des etres qui se sont accroches a une non-vie dans l'espoir illusoire d'etre enfin eux-meme, et qui, pour certains, y sont parvenus. Avec un profond soupir, j'en ai detache mes yeux, et entame de deposer mes armes et armure sur le sol. Tracant au sol un pentacle complique, le front plisse sous l'effort de concentration, j'essaye de ne pas penser a toutes ces aventures vecues au cours de mon existence, et a tous ces visages familiers, amis ou ennemis. Je repense aux membres de mon clan, a mon chef, a War3lover, le premier des Norns que j'ai connu, a Jorund, Vulkar et Barbak, que je vais rejoindre dans l'oubli du temps, et a tous les nouveuax que j'ai vu grandir et gagner en assurance. Fixant un instant mes phalanges blanchies d'ou s'echappe la poussiere fine qui sert a tracer les cercles, je souris tristement... "et dire que j'ai cru qu''il me suffisait d'etre deja mort pour survivre a tous... quelle vanite...". Ce sourire melancolique s'elargit a la pensee de ceux que j'ai combattu, et qui m'ont parfois vaincu. Le rire fier et orgueilleux de Pingu, les piques facetieuses de Magicmaster, l'arrogance de Guu-Sama, la cruelle beaute des Drows et des premiers d'entre eux, Tcherno et Argowal, et tant d'autres dont les visages se perdent dans ma memoire deficiente, Elandriel Falagorn, Prince Noir, Hole Master, Jcette, Kromack, Youss, Jungix, Kiskai, PiK, Keizer, Imdeo, tous se melent et finissent par composer un visage immense et composite. A mesure que mes doigts se font plus surs, et que ma resolution grandit, je me mets a esperer voir apparaitre Symoney ou Amon, et revoir une derniere fois Seytahn et sous regard lors de mysteres et d'espieglerie. "Ou trouve-t'on un Templar quand on en a besoin?" marmone-je dans ma barbe. L'idee saugrenue que j'aimerai que l'on vienne fleurir ma tombe me traverse une seconde l'esprit.
Mon ouvrage enfin achevee, je me redresse, et me debarasse des dernieres hardes qui me recouvrent. L'invocation commence, et l'ombre commence a recouvrir a le ciel. Les mots secrets que j'ai decouvert dans le chateau des elfes et dans les bibliotheques des differents chateaux que j'ai "visite" trouvent enfin leur sens, et je sais quoi dire. Fremissants, ils s'echappent, flottants avec fureur d'etre prononces, m'entourent, effleurent les cercles et s'y incrustent en bruissant d'energie. Les lueurs etranges projetent un halo inquietant, mais je ne faiblis pas. Ma bouche seche continue a debiter le flot, et l'air se trouble. Au centre du pentacle, une forme apparait, s'eleve, grandit, se deploie jusqu'aux bords exterieurs, et un instant, mais un instant seulement, je crains de ne liberer sur ce monde une puissance que je ne controlerai pas. Informe, elle me toise de toute sa hauteur, et semble se moquer de moi. J'acheve, au bord de l'epuisement, le dernier des mots, avant de me laisser tomber a genoux.
"Tu sais pourquoi nous sommes la. Fais ton office, et finissons en". Un eclat de rire de tonnerre fait trembler le sol, et je fremis. Et s'il me refusait cette grace? Non, il ne le peut pas, les elfes s'y connaissent en la matiere... Une main immense apparait, fine et puissante, chargee d'obscurite, et m'intime d'approcher. Je franchis les barrieres de protection, et le froid m'entoure. Une decharge sourde, un bruit, et et je reste interdit. Mon corps se desagrege, je le sens. Grain par grain, chaque os de mon corps se decompose au souffle des vents qui se dechainent dehors, tandis que l'ombre se disperse, avec une legere carresse sur mon visage. Je tombe au sol a la renverse. Amusant, je vois mes hanches. Puis mon esprit cesse de s'attarder sur ce monde, lorsque je l'apercois, mon aimee, qui me souleve la tete, et porte a mes levres une coupe d'eau. Si douce, elle est enfin la. Elle me sourit, et me prend par la main et m'emmene vers la clarte des landes de l'autre monde.
En haut de la colline, il ne reste qu'une ombre royale hurlant a la mort et un tas de vetements. Et un petit tas de cendres que le vent acheve d'enlever du Lorndor.
Epilogue.
Ca y est, j’ai enfin, malgré moi, réussi à réveiller les ombres de ma mémoire, et a recoller les morceaux du puzzle. A présent, je n’ai plus a chercher de raison de me battre, plus besoin de trouver le réconfort dans la défense des miens ; ma route est tracée à présent, et le temps est mon allie. Cela, je l’ai toujours su, c’est l’avantage d’être un mort-vivant.
La végétation se fait plus dense, et j’ai du mal a progresser, tranchant les herbes hautes et les lianes qui me freinent, a grand renfort de ahanements. Cela ne semble pas la gêner, elle disparaît régulièrement de ma vue, sans un bruit, masquée par les troncs et les arbustes, et a chaque fois qu’elle s’arrête pour vérifier que je suis le rythme, je me sens bruyant, brutal, déplace. Elle est presque féline, ombre dans sa foret, que ma présence semble offenser. Il me semble parfois que les plantes se liguent pour m’entraver ; je suis sur que cette branche s’est abaissée au dernier moment pour me gifler…
Elle sourit, et se moque de moi, dans ce sourire qui n’appartient qu’a elle, et que seuls ses yeux trahissent. Est-ce une épreuve de plus ? C’est elle qui tenait à revenir ici, moi, au lieu de trébucher sur les racines, et m’écorcher aux ronces, j’aurai pu continuer à vivre, ou plutôt habiter, près de la famille de Deux-Taille. A cette pensée, je me rembrunis. Je revois les flammes, et les ruine calcinées de la demeure du nain, et cette odeur, que jadis j’affectionnais, et qui aujourd’hui me soulève le cœur a sa seule pensée. Mon bras s’est arrête au moment ou ces images m’assaillent, et ma respiration s’accélère ; je sens mon regard brûler, se voiler, et un profond soupir s’échappe.
« Nous ferions mieux de nous arrêter », dit elle en posant sa main sur ma poitrine. Je ne l’ai évidemment pas entendue approcher. Je la regarde, et la tristesse que je lis dans ses yeux me force à me montrer bravache.
« Ne dis pas n’importe quoi, si je m’assieds ou que ce soit ici, et que je te perds de vue, je ne pourrai plus te trouver »
« Qu’importe, réponds-elle en souriant, moi, je saurai te retrouver. »
Un léger feu nous éclaire. Nous sommes entoures par des chênes centenaire, et la lumière de la lune ne parvient pas jusqu'à nous. La foret est cependant moins agressive, elle semble m’avoir enfin accepte, et je n’ai pas froid. Allonge sur le sol, je laisse mes pensées remonter et se perdre dans la frondaison, chaque branche remontant plus loin, chaque fourche voilant davantage la trame d’ombre rassurante qui nous protège. Des visages et des noms etranges resonnent dans mon esprit. Des chateaux en feu, des scenes de combat et de massacre, des etendards sanglent et des chants de marche se melent.
« Tout va bien? » me demande t’elle inquiete.
« Ca va, je rêvais ».
[Merci a tous pour cette belle aventure, a DA et Cerb en premier lieu, a tous les amateurs de jeu fair-play et respectueux de leur adversaire, a tous les Norns, a tous les Klones, les WGT, les DTC, les Ewig, les Templars et Hirdeors, a tous ces clans que j'ai combattu et au cote desquels j'ai lutte, aux Vamps et aux Lucifels, et tout ceux que j'oublie.
Deux ans de jeu de role, c'est beaucoup, et la vie a aussi pris le dessus, de la plus moche des manieres. Mes priorites ont change par la force des choses, et je ne puis continuer a participer a l'histoire du Lonrdor. Ah bas, je ne manquerai pas beaucoup. Un dernier mot a l'attention des Norns, que j'ai eu le plaisir de rejoindre tres tot, de voir grandir et murir, s'elargir et lutter, gagner et perdre, toujours avec dignite et honneur, et je leur adresse a tous mes remerciements les plus sinceres, et souhaite qu'ils restent aussi longtemps que possible tels qu'ils sont, et ne diluent pas leur identite dans le temps... ]
_________________ En fait l'important ne serait pas de réussir sa vie, mais de rater sa mort.
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