Les ombres du passé
Une soirée comme une autre en Lorndor. Une soirée de pluie. Notre nain, lui, se trouvait à l'abri d'une chambre de l'auberge du poney qui tousse. Face à un modeste bureau, qui faisait partis du mobilier standard des chambres de cet établissement, Danthorïn était plongé dans un livre manuscrit. Le premier venus aurait été en peine de le lire, l'écriture étant un mélange de runes naines et de l'écriture des humains, un style que, heureusement, Danthorïn lui connaissait depuis l'enfance. L'enfance... Danthorïn la revoyait à présent plus clairement qu'il ne l'avait vus depuis bien des années... Il avait été jeune, la vie n'avait pas toujours été aussi simple et claire qu'aujourd'hui.
Ce manuscrit, le vieil elfe noir lui avait donné il y a de cela trois jours et il en était déjà à sa troisième lecture. L'écriture était certes désordonnée mais claire, précise, et employait un vocabulaire assez relevé même s'il combinait deux cultures. Son père, Elthraïn, avait été un nain bien plus cultivé qu'il ne l'avait toujours crus.
Tout y était, le récapitulatif précis des contrats et quêtes qu'avait accomplis son père dans sa vie, sa triste carrière aux côtés de la mère de Danthorïn. Certains noms de lieux ou de cibles parmi les plus récents étaient familiers à Danthorïn, des actes qu'il avait presque vécus puisque né et voyageant avec eux à l'époque. Mais plus que les écrits des crimes, des faits d'armes et de quelques actes de bravoures gentiment rétribués, c'était bien tous les écrits de la vie de son père qui le captivaient.
Elthraïn, ce nom ne lui inspirait qu'une ancienne terreur refoulée au plus profond de lui. Il se souvenait de son père comme d'un homme froid, calculateur. Un être du chaos sans foi ni loi et jamais au cours de sa vie, avant comme après qu'il l'ait quitté, il n'avait pensé qu'il fut autre chose que les êtres qu'il combattait aujourd'hui de toutes ses forces. Mais les faits étaient tout autres...
Quelques quatre siècles plus tôt, dans les monts brumeux du nord, occupés à l'époque par une colonie naine à la recherche de métaux précieux, naissait le fils du chef de chantier et de sa très chère femme. Les noms des parents sont tombés dans l'oublie, le nom du fils ne connaitrait pas le même destin, Elthraïn était né. Elthraïn grandit pendant ses trente premières années élevé par sa mère, son père passant le plus clair de son temps sur les chantier d'exploitation de minerais où son fils devait un jour le remplacer. Il recevait d'ailleurs les enseignements de mineur en conséquence. Toutefois, un jour, un mage blanc nain, nommé Brandalfïn, fut accueillis sur le site d'exploitation. Il voyageait à travers le monde pour étudier les coutumes locales. Naturellement il se devait de l'accueillir pour la nuit chez le chef des lieux, le père d'Elthraïn donc, et c'est ainsi que le vieux mage et le jeune nain se rencontrèrent. Dès le premier instant Brandalfïn sentit la flamme qui s'élevait du cœur du jeune nain, le pouvoir du feu était si ardent en lui que jamais le vieux mage n'avait pu observé tel potentiel magique. Naturellement le soir même il abordait la question de lui enseigner les usages de son pouvoir latent.
Le père d'Elthraïn n'était pas réellement ravis d'apprendre les dons de son fils, jamais dans sa famille il n'y avait eu de mage et il n'était pas franchement partisan de ces jeteurs de sorts. Il céda toutefois à l'insistance du mage blanc et devant l'évidence de l'envie du jeune nain d'apprendre les connaissances du vieux voyageur. Son père refusa en revanche de voir le fils quitter la demeure familiale pour étudier la magie, bien décidé à le voir prendre sa suite. Brandalfïn prit alors sur lui de rester dans les monts brumeux pour enseigner ce qu'il pouvait à Elthraïn, même s'il n'avait jamais été un professeur.
Plusieurs années passèrent et Elthraïn, comme s'y attendait le vieux mage, devenait toujours plus puissant et avait un talent incontestable. Son père était des plus renfrogné par contre, et il ne cessait de se disputer avec son fils ou le mage. Il essaya bien à plusieurs reprise de mettre ce dernier à la porte, mais sans jamais y parvenir totalement en raison de l'intervention d'un proche, de son fils ou encore de principes. Mais face au capacités de Elthraïn, permettant à celui-ci de réaliser des merveilles de bijoux, armures et ustensiles de métal grâce à ses flammes, son père devait bien admettre qu'il avait fait le bon choix.
Brandalfïn, sentant venir la mort, étant alors âgé de prêt de deux cents soixante ans, fit un jour la demande de départ au chef du camp afin de retourner mourir après des siens, tout en emmenant Elthraïn voir les anciens nains, et ainsi être reconnu comme mage nain. Encore une fois, c'est à contrecœur que le voyage fut accepté par la famille et Elthraïn, lui ravis, partit avec son maître en direction du sud.
Du voyage il ne reste rien de particulier dans les écrits de Elthraïn, et il ne fait que brièvement part de ce qui se passa aux cours des deux années que vécus encore son maître. Il signale tout de même que les maîtres mages nains acceptèrent de l'accueillir comme mage. Ce en dépit de l'absence d'enseignements auprès des instructeurs de la nation, principalement par respect pour Brandalfïn.
Finalement, sur son lit de mort, le vieux mage blanc demanda Elthraïn et lui fit part de sa dernière vision en ces termes : « Tu mettra au monde ton destin final ». Ce furent les dernière paroles du grand mage Brandalfïn et Elthraïn devait passer sa vie sans en connaître la signification.
Jusqu'à l'âge de quatre vingt huit ans, Elthraïn mis sa magie de feu au service de la grande école de sorcellerie. Son talent et son esprit aiguisé lui permirent de gravir rapidement les échelons et il fut l'un des mages nains à être reconnu « archimage de feu » le plus jeune de toute la longue histoire naine. En revanche, il « oubliait » sa promesse de revenir auprès des siens dès la mort de son maître, et cela alors même que l'annonce de la mort de sa mère lui arrivait. Elthraïn avait de l'ambition, un talent tel qu'il devait faire de grande chose et pas simplement diriger un camp de mineur. Son père trouverait bien quelqu'un de moins doué que lui afin de prendre sa suite.
L'ambition, l'arrogance, ces caractéristiques ne lui firent point que des amis. Et ce n'est surement pas un hasard s'il fut un jour nommé à la tête d'une unité enflammées. Les unités de mages de guerre naine. Les unités de mage connaissant le plus fort taux de mortalité. Et bien sûr, cette fois le caractère qu'il s'était forgé lui joua des tours et Elthraïn, en même temps qu'il obtenait la réputation d'être l'un des plus terribles combattants, obtenait aussi celle de se servir de tout, y compris des vies de ses subalternes, afin d'obtenir la victoire et surtout la gloire. Sa fidélité à sa cause était néanmoins irréprochable... Mais finalement elle lui fut reprochée. Ses détraqueurs, n'ayant pu causer sa perte avec cette mutation, au contraire, choisirent une méthode encore plus vile de se débarrasser de lui. Il organisèrent soigneusement un coup monté le mettant comme coupable idéal d'une série de meurtres de nains.
Déclaré criminel, et fou dangereux, par les autorités qu'il avait toujours servis, Elthraïn choisit la voie la plus facile... Et non content de ne point se rendre à un conseil qui le jugerait coupable à coup sûr, il alla jusqu'à tuer ceux qu'il avait identifié comme les organisateurs de ce coup monté avant de quitter, définitivement, la capitale des nains. Désormais Elthraïn serait connu comme un tueur de nains, un nain chaotique de la pire espèce qui soit. Sa famille sera par ailleurs sévèrement réprimandé causant la faillite des affaires de son vieux père, chose qu'Elthraïn n'apprit que bien après la mort de son paternel.
Elthraïn était donc seul, coupé de tout ce qui avait été sa vie. Il aurait pu mourir ainsi s'il n'avait pas rencontré alors Milïnn. Milïnn était une naine du sud, d'une vingtaine d'année sa cadette elle avait acquis une certaine réputation de barbarie et d'assassin où qu'elle aille à l'aide de sa magie terrestre. Mais entre ces êtres que le passé opposait le coup de foudre fut immédiat, et Elthraïn épousa, outre Milïnn, la cause de sa moitié en devenant l'un des plus grands mercenaires de son temps.
Après trente années de ravages, adopté par le peuple humain et honni de toutes les peuplades naines, le couple mis au monde leur premier enfant, Danthorïn, au sein d'une bourgade humaine du sud des frontières elfiques. Un mage elfe noir avec lequel ils avaient fait connaissance des années auparavant fut choisit pour élever le garçon alosr que ses parents étaient en missions, ne pouvant l'emmener Et le groupe des quatre voyageait désormais à travers leur nouveau pays, le Lorndor.
Comme vous le savez, après seulement une dizaine d'année Danthorïn fuyait pour ne plus jamais recroiser ses parents et suivre la destinée qui lui était propre. Il resta convaincu toute sa vie que ses parents l'avaient d'ailleurs vite oublié, et peut-être même remplacé par un autre enfant. Et ce jusqu'à ce jour, il y a trois jours, où ce vieil elfe lui portait ce manuscrit.
Danthorïn, âgé, reporta avec une certaine tristesse le regard sur les dernières pages des écrits de son père. L'elfe qui lui avait porté n'était rien d'autre que celui qui avait accompagné ses premiers pas, et après lui avoir confié les écrits d'Elthraïn il était repartis sans accepter la moindre pièce d'or.
Les dernières pages étaient écrites de façon hâtives, la colère s'y mêlaient de la tristesse. D'abord en rage Elthraïn avait bien vite été désespéré de la perte de son enfant, peut-être voyait-il les erreurs de ses rapports avec son père se reproduire ? Toujours est-il que lui et Milïnn abandonnaient immédiatement leur mission en cours pour se mettre à la recherche de leur fils unique. Les écrits d'Elthraïn n'apportent alors plus beaucoup de renseignements utiles sur ces recherches. Le désespoir dans l'écriture est juste plus visible après la mort de Milïnn minée par des fièvres. Morte de maladie alors que le peuple nain était si résistant aux maladies... Ce ne pouvait être qu'une punition divine pour leur vie dépravée selon Elthraïn.
Le récit ne se termine toutefois qu'une centaine d'année plus tard, sèchement, laissant planer la suite des écritures. Elthraïn y compte alors, en effet, qu'il se trouve simplement dans une taverne aux bords des terres naines.
La suite c'est l'elfe noir qui, avant de le quitter, la raconta à Danthorïn. Elthraïn, ivre mort car, comme on l'a dit il y a longtemps, il ne supportaient guère l'alcool, déclencha ou du moins se retrouva dans une bataille de taverne. Un elfe, seul de sa race présent au milieu de nains et de quelques humains, fut rapidement pris à partis et était prêt de périr si, dans un excès de lucidité et peut-être dans le cercle de repentance qu'il suivait, Elthraïn ne s'était porté à son secours. Cet acte ne plut guère aux nains ivrognes qui se tenaient face à lui, mais cela aurait pu passer si, malheureusement, l'un de ces derniers ne l'avait reconnus comme l'un de ces nains du chaos si recherchés par les leurs. Immédiatement les réflexes de Elthraïn, bien qu'âgé désormais de près de deux cents trente ans, reprirent le dessus et ses sorts volèrent contre ses agresseurs. Deux d'entre eux tombèrent immédiatement, certains reculèrent mais des nains, encore en forme et battant l'emblème de l'un des clans nain les plus prestigieux, se levèrent à l'autre bout de la salle. L'un de ces derniers l'attaqua de front à l'aide de sorts de glaces tandis qu'un autre lança une charge de terre pour déséquilibrer Elthraïn, équilibre déjà précaire en raison de l'alcool. Il réussit toutefois, bien que blessé sévèrement, à rejoindre la porte de la taverne et s'apprêtait à la franchir lorsque soudain une boule de feu l'atteint en plein dos.
Elthraïn s'écroula. Une légende du chaos tombait sous le coup d'un sort de son école, lancé par un jeune nain. Un jeune nain à barbe rousse qui portait le même emblème que celui de ses ainés qui l'avaient combattu, l'emblème NAINS. Il regarda, bien que son regard soit de plus en plus flou, le visage de ce jeune qui semblait plus pâle qu'autre chose après un sort mortel jeté à un autre nain, fut-il chaotique, et Elthraïn compris. « Je rencontre enfin le destin que je me suis créé » Furent les derniers mots du nain obscur.
Cent cinquante ans plus tard, à l'étage de l'auberge de poney qui tousse, Danthorïn posa finalement le manuscrit dans son sac avant de rejoindre le lit. Il s'efforça une fois de plus de se souvenir de cette fameuse soirée à l'auberge Hine, qui l'avait choqué si longtemps sans savoir pourquoi.
Des ombres du passé se sont éclaircies pour laisser place à de nouvelles.
Maeglor de Tirth, scribe et elfe noir du sud.
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