Chapitre 2 : Renaissance
M’avait-on abandonné ?
Où étaient les miens ? Pour la première fois je ne ressentais plus de haine pour mon peuple.
Seul dans ce monde inconnu, même ma terrible sœur me manquait.
Pendant mes premières années passées dans la cité souterraine, c’était ma sœur aînée qui m’avait éduqué et inculqué les bases du combat et de la sorcellerie. C’était rare qu’une Grande Prêtresse s’abaisse à recevoir la charge d’un rejeton mâle, encore moins si celui-ci n’était que le cinquième fils de la maison. Et ma sœur m’avait fait vite comprendre que cela ne lui plaisait pas…
Je n’ai jamais su pourquoi ce « privilège » m’avait été accordé, mais un jour alors que ma sœur me proférait des insultes elle avait laissé sous-entendre que c’était Lloth elle-même qui m’avait épargné sur l’autel à ma naissance. Ma sœur n’avait pas voulu m’en dire plus, au contraire elle m’avait menacé des pires châtiments si j’en touchais un mot à notre mère.
Pourquoi Lloth m’avait-elle épargné ? Cela restait un mystère pour moi mais ça ne changeait en rien mes sentiments pour la déesse araignée. Je la détestais, de toute mes forces. Elle était responsable de mon malheur et du malheur des miens, car je savais que même quand mes sœurs me torturaient, elles-mêmes souffraient de leurs tourments imposés par Lloth.
Toute ma vie n’avait été que torture jusqu’à présent. Mes sœurs me haïssait et mes frères plus encore car ils étaient rongés par la jalousie et voyaient en moi un concurrent indésirable. J’avais échappé à une tentative d’assassinat de mon plus jeune frère, le châtiment atroce que lui avait ensuite infligé ma sœur avait passé toute envie à mes frères d’attenter encore à ma vie.
Mais le mépris de mes frères et de mes sœurs n’était rien en comparaison de la terrible haine que m’avait voué ma mère durant toutes les premières années de ma vie. Elle semblait vouloir ma mort plus que tout mais quelque chose l’en empêchait et ce là l’exaspérait au plus haut point.
Je n’oublierais jamais ce regard terriblement mauvais qu’elle m’avait lancé en m’annonçant qu’elle avait pris plaisir à torturer puis sacrifier mon père le soir de ma naissance.
Il ne valait rien, tout comme moi, se plaisait-elle à me rappeler.
La nuit où ma sœur aînée avait égorgé ma mère pour prendre sa place fut l’un des rares moments de joie de ma vie. Il ne fut que de courte durée, car ma sœur se révéla aussi effroyable que ma mère au pouvoir. Sa seconde mesure, après avoir fait sacrifier mon autre sœur qui était une simple concurrente à ses yeux, fut de se débarrasser de moi et de me confier à l’académie de sorcellerie de la cité.
Seul l’entraînement au combat et l’apprentissage de la sorcellerie m’avait permis de m’évader de ce cauchemar qu’était ma vie et plus j’avais souffert, plus je m’étais réfugié dans les salles d’armes ou les livres de sorcellerie.
Cet entraînement acharné avait fait de moi l’un des sorciers les plus doués de ma génération.
Ma maîtrise des armes était quand à elle assez rudimentaire. Je maîtrisais le maniement des armes légères, mais sans ma magie je ne faisais pas le poids face à un guerrier rompu au maniement des armes lourdes.
Qu’importe, dans le royaume de Lloth, la magie était omniprésente et le meilleur guerrier ne faisait jamais le poids face à un archimage, encore moins face à une grande prêtresse.
Un jour, une jeune prêtresse s’était mesuré à moi et contre toute attente, je l’avais vaincue et même tué dans la violence du combat. Tuer une prêtresse était un crime suprême mais ma sentence fut encore une fois un mystère : je fus longtemps torturé mais on ne me sacrifia pas contrairement à la tradition.
Dans le royaume de Lloth, la pitié n’existait pas, tout comme l’amitié et encore moins l’amour. D’ailleurs ce mot ne m’évoquait rien d’autre que les rapports érotiques violents, voir même morbides, que j’avais eu avec des femelles en manque de sang. Coucher avec une Drow était bien plus risqué que de se mesurer à tout un régiment de guerriers. Au moins la mort était rapide quand on était embroché par une lame, tandis que si on se laissait piégé dans la toile d’une Drow…
Et puis j’avais depuis longtemps renoncé à me faire des alliés, car mon simple nom suffisait à me faire haïr de tous.
« Tcherno »... j'avais appris bien vite la lourde signification de ce nom.
Cette appellation avait sans doutes était le pire châtiment de ma mère qui continuait à me le faire subir même après sa mort.
Ainsi était ma vie jusqu’à ce qu’un jour je fus désigné volontaire pour participer à une incursion à la surface pour massacrer nos « cousins » blancs et assouvir la soif de sang de la déesse araignée.
Cette nouvelle ne m’avait guère enchanté, car on racontait que la surface était un endroit invivable et glacial, une terre sans toit, brûlée par une boule de feu qu’on nommait le soleil.
Un monde peuplé de créatures les plus féroces les unes que les autres, à commencer par nos « cousins », les effroyables et sanguinaires elfes blancs qui nous avaient chassé jadis de la surface et forcé à nous réfugier dans les entrailles bienveillantes de la terre.
Mais je n’avais pas eu d’autres choix que de participer à l’incursion et j’avais alors découvert la surface. Nous étions sorti de nuit naturellement, pour éviter de nous faire brûler par le soleil et j’avais immédiatement été déconcerté par l’immensité du ciel parsemé de points blancs scintillants.
J’avais ensuite été bouleversé de voir ma puissance presque réduite à néant.
La prêtresse qui nous guidait nous avait expliqué que le pouvoir de Lloth n’avait qu’une infime influence à la surface. Jamais je ne m’étais senti aussi vulnérable, avec ma seule épée courte en guise d’arme.
Notre troupe avait marché longuement jusqu’à découvrir enfin un village de nos cousins. Nous les avions alors massacré mais étrangement ceux-ci n’avaient pas semblé aussi effroyables qu’on nous l’avait enseigné et ils n’avaient montré qu’une faible résistance.
Moi-même, encore frustré d’être privé de mes pouvoirs, j’en avais égorgé une douzaine avec ma simple épée courte.
Fort de cette victoire, nous avions repris le chemin du retour mais ce fut à cet instant que j’avais reçu un violent coup sur le crâne et que je m’étais évanoui.
Et en me réveillant, j’étais seul dans la clairière d’une forêt, seul dans ce monde hostile et froid.
Etait-ce un de mes compagnons qui avait profité d’être loin de la cité pour se débarrasser d’un concurrent gênant ?
Je ne le savais pas et à vrai dire je m’en fichais, ce qui importait c’était de retourner au plus vite sous terre, déjà des lueurs rouges apparaissaient au loin dans le ciel et ne laissaient présager rien de bon.
Malheureusement nous avions marché longtemps dans l’immensité d’une forêt et mes sens avaient été déboussolés, moi qui n’avais parcouru que des galeries souterraines jusqu’à présent.
Désespéré, je tombais à genoux au sol et j’observais à l’horizon les lueurs rouges qui s’intensifiaient, j’étais persuadé qu’elles annonçaient ma fin.
Alors soudain, le soleil se montra. Je fus immédiatement aveuglé et mes yeux, habitués à l’obscurité, furent brûlés.
Puis je sentis mes vêtements se décomposer, ils avaient été tissés dans une fibre qui se fondait dans l’obscurité mais qui n’était pas conçue pour résister aux rayons de l’astre de feu.
Se fut alors ma peau qui parut s’embraser, jamais je n’avais connu une telle chaleur jusqu’à présent !
J’hurlais, de douleur ou de plaisir je ne pouvais le dire, je me sentais purifié par le soleil.
Mais au bout d’un moment, je constatais que le que froid me reprenait, étrangement mon corps semblait s’adapter aux rayons de l’astre.
Epuisé, je me laissais retomber au sol et je me recroquevillais dans la position du fœtus.
Aveugle, presque nu et grelottant de froid, seul et vulnérable au milieu de la vaste plaine, j’avais l’impression d’être un nourrisson qui venait de naître.
Allait-on encore une fois m’épargner d’une mort certaine ?