Selene, [VAMPS]
Undeadinette, of course
Bien cruelle est parfois la destinée des hommes... elle ne l'est que davantage quand les Dieux se mettent à influer sur leur sort...
Mais oublions cela en cette heure si tardive,
Tu es venu ici pour entendre une histoire,
Alors viens! Viens près de moi, âme si naïve!
Et je te conterais ce que tu veux savoir...
... Laisse moi me remémorer... oh... je ne saurais me souvenir de son nom bien que son image me hantera pour l'éternité. Elle était bien jeune à l'époque où cela se produisit, une vingtaine d'années tout au plus. Une longue chevelure d'un blond si clair, un regard profond évoquant une telle sérénité, sa peau était légèrement hâlée mais tellement plus pâle que celle de ses congénères. Elle passait des heures à l'ombre des arbres, parcourant bois et forêts pour cueillir des plantes, baies et champignons. C'était sa tâche en tant qu'apprentie de la Sage du village; un paisible petit village de pêcheurs sur les bords du Þingvallavatn (1). Rien d'extraordinaire pour l'époque à vrai dire. Les hommes étaient habiles à la pêche et le poisson abondant, ils en pêchaient chaque jours de pleins fi...
Comment? « Que s'est-il passé » ? Que veux-tu dire par là? ... ah oui! Tu es bien hâtif mais je le consens, tu n'es pas ici pour que je te parles de vulgaires pêcheurs n'est-ce pas... Eh bien vois-tu, la Sage vint à mourir. Cela ne m'a que peu attristé en vérité, chaque être doit mourir son heure venue, c'est inéluctable... De même succède un jour l'apprenti au maître. Elle devint donc la Sage.
Plusieurs semaines passèrent, la saison était maintenant fort avancée et le solstice approchait. Les coeurs s'en réjouissaient car de grandes fêtes étaient organisées pour célébrer la venue de l'été. Les préparatifs furent bien sûr réalisés sous son regard attentif. Vint le soir tant attendu. Grands feux, danses, chants, offrandes aux dieux, tout fût parfait! Mais les réjouissances devaient être de courte durée...
Ils parlèrent de signes. Selon eux, le froid glacial et sec qui s'abattit cet été là en était un. Vinrent ensuite les tremblements de terre puis les pêches infructueuses... Ils disaient que les Dieux avaient été offensé, qu'elle n'avait pas su accomplir ses fonctions, que c'était sa faute. Que dire pour sa défense? Tel était alors l'humeur de la Nature, dévastatrice.. imprévisible... Mais pour eux, il fallait calmer les Dieux courroucés et prendre la vie de celle qui était responsable de l'offense. Prise de désespoir et de rage, elle invoqua les Dieux mais apparemment, ses appels furent lancés en vain, son sort était scellé. La nuit tombait, la Lune, étrangement teintée de rouge commençait son ascension dans le ciel étoilé. Le sacrifice eut lieu. Pas un cri ne troubla le silence de la nuit, pas un gémissement, pas un souffle. Seul un regard, noir de colère, témoignait de l'injustice alors commise. Ainsi elle partit. Et sa dépouille fût mise en terre.
Mais ne crois pas que l'histoire s'arrête là... non bien sûr, tu sais même déjà que c'est tout le contraire. Je vais maintenant te réveler comment cela s'est produit. Il arrive parfois que l'esprit d'un mort soit capable de revenir par la seule force de sa colère et de sa haine. Elle réapparut donc dans les ténèbres de la nuit sous forme d'un draugr (2). La lune, désormais haute dans le ciel, dégageait une lueur blanchâtre, presque éclatante. Puis le ciel se couvrit. De bien sombres nuages annonçaient la tempête à venir. La draugr se tenait là, au centre du village endormi. Et la foudre tomba du ciel. Quelle ironie du sort! Les Dieux n'étaient que deux fois plus affligés par le crime odieux que les pêcheurs avaient commis. Et la foudre s'abattit de nouveau. Mais elle ne venait plus du ciel. Elle jaillissait de la draugr elle même. Les étincelles embrasaient les toits de chaume. Et la foudre tombait encore et encore. Les cris des enfants, mais ceux des hommes aussi. Et inlassablement. Une odeur de chair grillé s'élevait du village calciné. Ce n'était plus désormais qu'un tas de cendres où la vie n'était plus. La draugr restait immobile, sa vengeance était accomplie et pourtant elle était impassible et ne contrôlait rien. Par elle, justice avait été rendue. Les nuages s'effacèrent, laissant place à une lune plus éclatante que jamais. La draugr disparut.
Mais l'esprit de la morte était encore là. Ou peut être était-il ailleurs? Une voix, froide et dénuée de toute émotion s'éleva. « Tu es en Elvidnir (3), ma demeure. Tu ne resteras point en mon Royaume car une seconde vie t'es accordée. Ainsi en ai-je décidé, ainsi sera-t-il fait. » Et le silence revint.
... T'imagines tu un seul instant les sensations qu'elle a pu vivre en réintégrant son corps? Non effectivement... tu ne connais que la vie, tu es bien vivant, de chair et de sang et elle aussi, car oui! Elle vivait de nouveau! Son âme, propulsée par Hel, elle-même, franchit les différents mondes qui la séparait de sa dépouille. Tant de vibrations et d'énergies libérées... Elle avait été touchée par une magie pure et divine. Quel choc de réintégrer un corps. Le coeur qui se met à bondir, les muscles qui se crispent et les poumons... De l'air, vite! Il faut qu'elle respire! Car elle est ensevelie, assaillie de toute part par la terre. Elle se débat et le sol fraichement retourné se laisse traverser. Sortie du sein de la Terre, elle renaît. Mais de tristes vérités lui apparaissent enfin, l'affligeant d'un profond désarroi. Elle ne respire pas. Son coeur est figé dans sa poitrine. Un froid glacial la transperce. Si son sang circule dans ses veines et si elle est capable de se mouvoir, elle ne peut que constater que la force vitale qu'elle a connu avant, celle que tout être vivant possède, n'en est pas l'origine. En effet sa non-vie est désormais régie par de nouvelles règles. Son énergie vitale provient d'une toute nouvelle aura, résidu de la magie divine qui l'a transformée. Voilà qui est fort déstabilisant, ne trouves-tu pas? Je m'en amuse encore chaque fois que j'y pense. Mais elle n'était pas au bout de ses peines. L'aube pointait à l'horizon et les premières lueurs du jour éclairaient la scène de la nuit passée. Des ténèbres qui se dissipaient, se détachaient des ombres confuses et hésitantes. Mais elle savait. Ravage et désolation. Telle était son oeuvre, n'est-ce pas... Qu'aurais-tu fais à sa place? Tant de culpabilité... Ton foyer, détruit par tes propres mains. Tes amis et parents... tu n'en as épargné aucun! Chercherais tu rédemption auprès des tiens? Insensé! A leurs yeux, tu ne serais qu'un monstre à tuer! Il te faut fuir car tu seras pourchassé, tu le sais.
Alors, elle prit la fuite. Tournant le dos au village dévasté, le carnage pourtant restait dans ses pensées. Sombres pensées qui ne la quittaient point. Elle marcha d'un pas mal assuré. Horribles souvenirs de la nuit passée. Elle courrait désormais. Ces cris dans la tête, ces éclairs la hantaient! Elle volait! Droit devant, sans but aucun, juste partir loin, fuir et fuir encore plus loin... Lune après lune, toujours plus loin.
Finalement harassée par tant d'énergie consumée, elle se laissa choir. La chute fut longue et lente... Violet, Indigo, Bleu, Vert.... les couleurs de l'arc-en-ciel chatoyaient autour d'elle... Quel spectacle divin... Puis l'or et l'argent et cette vive lumière blanche.... Où? Comment? Quand? Elle sentit le sol sous elle. Elle était affalée, entourée de ténèbres. Epuisée, elle perdit connaissance.
Quand enfin elle ouvrit de nouveau les yeux, une créature l'observait. Une femme, enveloppée d'un halo de lumière dorée! Etait-ce un ange? ... Ce n'était que le contre-jour et pourtant, cette femme avait des ailes! Elle était morte et vivante à la fois! Il s'agissait de Dame Seytahn... C'est ainsi que Selene vit le jour sur les Terres de Lordnor. Elle intégra les rangs des Ailes Noires. Les siècles passèrent. Selene, sur le modèle de sa bienfaitrice, consacra son existence à soigner ses frères mort-vivants. Mais quoi, à part la monotonie, peut lasser l'immortalité? Tant de pouvoirs, de connaissances et cette froide beauté. Un tel potentiel se devait d'être exploité. Et Selene suivit les traces de Dame Seytahn, dans un nouvel art de vivre... les Vamps!
Et voici mon récit terminé... Donne moi ton bras et faisons quelques pas mon ami, ce fut une assez longue histoire... Parler ainsi m'a ouvert l'appétit. Nous pourrions peut-être prendre un verre? ... Tu n'es pas totalement satisfait de mon récit? Vraiment... Tu te poses une dernière question... Oui, oui, dis moi, que j'épanche ta soif de curiosité; je vais te répondre.... Comment en sais-je autant sur elle, ladite Selene? Eh bien....
Approche cher ami, entends la vérité!
Etonnant trouves-tu, comment en sais-je autant?
Inquiétant je dirais... mais trop tard maintenant,
Je vais te révéler cet ultime secret...
J'avoue: au fil des siècles et au fil de mes vies,
Je pris cette exécrable et vilaine manie:
Parler de ma personne comme on parl' d'elle ou lui.
Laiss' moi ôter ma cape et prouver qui je suis!
"Je remplace, pour qui me voit nue et sans voiles,
La lune, le soleil, le ciel et les étoiles!" (4)
J'inspire l'envie de vivre; tu en pâlis.
J'aspire l'essence de vie; tu en es blême.
Et ton sang en mes veines: jouissance extrème
Ton bon sens endormi, trop tard, te hurle: « Fuis! »
Dans mes bras languissants, savoure mon baiser,
Sois pas inquiet chéri: ton destin est scellé.
Nuit après nuit, j'ai soif de ton sang. Le désir est puissant et ton col entrouvert me tente tant! Il me faut boire ton chaud nectar vermeil, délicieuse boisson pour nous autres immortelles.
Ne luttes point car tu es mien maintenant. Tu as plongé sur moi tes yeux concupiscents et nul ne troublera le plaisir qui m'attend. Frémis, pâlis et tremble de frayeur...
Car c'est bien moi, Selene. Et ce soir très cher, je prends ton coeur.
(1)Þingvallavatn (Thingvallavatn): lac situé au sud-ouest de l'Islande. (2)Draugr: « revenant » : Comme son nom l’indique, l’esprit du mort enterré était capable de revenir s'il était en colére. Il était alors capable de tuer les personnes et les animaux. Pour le tuer définitivement, il fallait brûler son corps et disperser ses cendres en mer ou dans une eau de source. On notera que n’est pas un mort-vivant à proprement parler, simplement l'esprit et l’illusion de l'apparence physique du mort. (3)Elvidnir: « Lieu-de-la-Tempête » : La demeure de Hel, fille de Loki et Souveraine des morts. (4)Les vers entres guillemets sont extraits du poème Les Métamorphoses du Vampire de Charles Baudelaire.
_________________ "Je remplace, pour qui me voit nue et sans voiles,
La lune, le soleil, le ciel et les étoiles!"
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