|
Vincent
Race : Undead
Un homme tout vêtu de noir entra dans l’auberge, sans un mot il s’assit dans un coin sombre et sortit un vieux livre de son sac sans accorder un regard à quiconque. Lorsque le tenancier vint le voir, il crut voir un reflet rouge briller dans ses yeux mais il attribua cette vision à deux chopes de bières et la faible lueur de la bougie.
- « Que voulez-vous ? »
- « Une chambre, mais je n’ai rien pour vous payer »
Le tavernier le jaugea : des bottes crottées, une cape terne et froissée, un manteau usée par le vent et les intempéries. Cet homme là avait vu du pays et avait sans doute des choses à raconter.
- « Tu vois la chaise vide sur l’estrade, c’est la chaise du voyageur, dit le tavernier en désignant un fauteuil au milieu de la salle, va t’y asseoir, conte nous une histoire de ton pays et tu auras toute l’hospitalité que nous pouvons t’offrir »
Avec des gestes lents et délicats, l’homme range son livre dans son sac et alla s’asseoir sur la chaise. Il avait une peau pâle et des traits anguleux, ses longs cheveux chatains formaient une queue posée sur son épaule gauche et ses mains, semblables à deux araignées blafardes se calèrent sur l’accoudoir en bois de pin.
Lorsque le silence fut complet et que tous les yeux furent tournés vers lui, sa bouche grenat s’entrouvrit et d’une voix grave et profonde il commença :
« Je m’appelle Vincent.
Je suis né dans une ville humaine du nom d’Eltopian. L’année n’a aucune importance.
Ma famille avait l’étonnante originalité de n’en avoir aucune : Pas d’oncle parti explorer les anciennes cités elfes, pas de cousin nécromancien, pas même une lointaine filiation avec quelque héro. Rien.
Mon père, issu d’une longue lignée de marchands, avait réglé son pas sur celui de ses aïeuls. Ma mère avait un petit don pour la couture et accompagnait mon père aux diverses foires de la région. Vendant draps et chemises pendant qu’il négociait vins et épices.
En somme leur existence pouvait se qualifier d’ennui confortable et il n’y avait aucune raison que la mienne soit tout autre.
L’éveil à la magie
Tout commença avec Rodolphus. Sans être riche, ma famille avait les moyens de payer les services d’un percepteur pour parfaire mon éducation. Rodolphus était déjà un vieil homme quand il commença à s’occuper de moi.
Il avait été un magicien respecté dans sa jeunesse et ne cessait de s’en vanter. Je n’ai jamais su quelle était la part de vérité de ses récits mais ses pouvoirs et ses connaissances étaient bien trop étendus pour être ceux d’un vulgaire illusionniste.
Bien vite, je me rendis compte que Rodolphus s’intéressait davantage à moi qu’à ses autres élèves. Loin de se contenter des lettres et des chiffres, le vieux mage m’enseignait aussi la géographie, la poésie et l’herboristerie. Il me prêtait aussi d’étranges livres où il était question d’anciennes sectes et de créatures magiques.
Je n’étais pas d’un naturel sociable, les jeux avec les autres enfants d’Eltopian ne m’intéressaient guère et, bien vite, Rodolphus devint mon ami. Nous parlions de poésie et il tenait à ce que je lui dise très précisément ce que je retenais des livres qu’il me prêtait. Il m’écoutait attentivement mais ne faisait jamais de commentaires sauf pour corriger mes erreurs d’interprétation.
Le jour de mes quatorze ans, le vieux mage me remit un livre vierge. Mon premier et dernier livre de sort.
L’enseignement de Rodolphus était sévère. « La magie, disait-il, requiert autant de rigueur que l’escrime. Peut-être plus encore. Tu peux éprouver le tranchant d’une lame, tu peux deviner son effet sur les chairs. Un sortilège change à chaque incantation, la force d’un mage vient de sa capacité à restreindre ces variations ».
Il remarqua que j’avais quelques prédispositions pour les sortilèges de charme et, à mon grand étonnement, m’incita à m’exercer sur les clients de mon père.
Nous connûmes la période la plus faste de notre famille, jamais les négociations n’avaient été aussi aisées que lorsque j’accompagnais mon père sur les marchés.
En s’enrichissant, la question de mon avenir devint un obsession pour mes parents. Mage ne leur semblait pas un métier convenable et Rodolphus fut de moins en moins bien accueilli au sein de la maison. Un matin, lors de ma seizième année, la porte de notre demeure lui fut interdite.
Jusqu’à sa mort, je n’entendis plus parler du vieux mage, je crois que la perte de son apprenti le blessa profondément et qu’il retourna à la tour des mages de Yulkern pour s’abandonner dans la lecture.
Les connaissances qu’il m’avait transmises étaient suffisantes pour que je puisse continuer à travailler seul sur mes pouvoirs.
Avec les années, je devins un jeune marchand très en vue et un habile séducteur. Tous parlaient de talent alors qu’il n’y avait que du travail.
Durant l’été de mes vingt-deux ans suivante je rencontrais Céline. Elle était belle, et dans mon orgueil, j’estimais que tout ce qui était beau était pour moi. La magie fait des miracles. Nous nous fiançâmes trois mois plus tard.
Le choix
Le pouvoir s’associe mal à la bêtise. Privé des conseils de Rodolphus je développais ma prétention autant que ma puissance. La mort de mes parents m’apparu comme une bénédiction. Ayant menés une existence banale de marchands, ils connurent une mort banale de marchands : une embuscade de grunts.
J’étais maintenant libre d’organiser ma vie comme je l’entendais. Mes sortilèges m’assuraient l’attachement de Céline. Je l’exhibais sans vergogne, comme ma plus belle pièce. Je l’ornais des plus belles robes et des plus beaux bijoux, vampirisant la fortune de mes clients pour la couvrir d’or et me couvrir de gloire.
Cependant, je crois que ma seule passion restait la magie et le pouvoir qu’elle me donnait sur les autres. Un pouvoir caché, dissimulé aux yeux de tous. Le mensonge apporte de si grandes joies.
J’avais vingt six ans lorsque j’appris la mort de Rodolphus. Une carriole conduite par un nain s’arrêta un jour devant ma maison. Elle contenait de grands paquets soigneusement emballés. Le nain me donna une lettre et commença à décharger les affaires sur le pas de ma porte.
Le contenu de la lettre était fort simple. Le Grand Juge des mages de Yulkern m’apprenait que Rodolphus était décédé près d’un mois auparavant. Dans son testament il me léguait ses livres et ses artefacts. Dont acte.
Le soir même, j’entamais l’étude du livre de sort de mon ancien maître. J’en sortais plus troublé qu’émus. Le savoir de mon mentor était impressionnant mais il avait fini par mourir.
L’idée qu’un jour mon unique trace en ce monde se limitera aux souvenirs de mes proches et aux pages de mes grimoires me révolta.
Il devait exister un moyen d’empêcher cela, de le retarder tout du moins. En quête de réponse je plongeais avec acharnement dans la lecture de mon héritage.
Rodolphus m’avait déjà parlé des elfes et de leur immortalité. Ma première idée fut naturellement de m’approprier l’âme de l’une de ces créatures.
En étudiant le démonisme et les arcanes les plus sombres j’appris très rapidement à emprisonner des âmes dans divers réceptacles.
Cette facilité d’apprentissage ne m’étonna pas. Certains ont le don de deviner les pensées des autres, certains peuvent naturellement comprendre les paroles des arbres, pour ma part la magie était une chose tout à fait naturelle.
Ma première victime fut dame Galyria, un elfe noble de la principauté d’Eolim. Son agonie fut atroce et cette souffrance brisa son âme. Incapable de freiner le déchaînement de mes pouvoirs, toutes mes sources connurent le même sort. Elles se laissaient mourir pour ne plus à endurer la torture. Je récoltais des âmes devenues mortelles, inutiles.
C’est au comble de ma frustration que j’entendis parler du vampirisme.
L’éveil du sang
Tout mage qui aspire à l’immortalité envisage immédiatement de devenir une liche. A condition de sacrifier sa beauté et son accès au monde des humains.
Je n’avais ni le pouvoir, ni l’absence de vanité nécessaires pour devenir l’une de ces créatures. J’aimais mon apparence, mes lèvres fines et nacrées, mes yeux noirs, mon visage en cœur encadré par de longs cheveux châtains qui tombaient harmonieusement sur mes épaules.
Je voulais encore pouvoir serrer Céline contre moi, me priver de ma vie charnelle et sociale me rebutait. Je deviendrais donc un vampire.
Les vampires sont nés d’une malédiction jetée par un nécromancien à un elfe. Les premiers elfes vénéraient la vie. Condamner l’un d’entre eux à ne pouvoir se nourrir que de sang durant une éternité de prédation constituait un raffinement de cruauté.
Nul ne sait la cause de l’évolution des vampires par la suite, ni comment le premier vampire découvrit comment transmettre cette malédiction. En revanche, Rodolphus avait réuni une large documentation sur la malédiction initiale.
Je fis ce que nul mortel n’avait jamais fait auparavant. Je me maudis, craignant de ne pas survivre à l’étreinte d’un véritable suceur de sang.
Les éléments nécessaires pour le rituel me coûtèrent une bonne partie de ma fortune. Un matin, Je m’enfermais dans ma chambre et commençais les incantations complexes qui allaient modifier ma nature. Je finissais le rituel alors que le soleil se couchait et rien ne semblait avoir changé en moi. Exténué et proche du désespoir je m’effondrai sur le lit.
Je fus réveillé par des coups donnés contre la porte. Lorsque je fis un geste pour me lever, je ne sentis plus mon corps.
Il est très rare que l’on prenne conscience de son corps. Cela arrive lorsqu’on se blesse ou lorsqu’on s’étreint. Nous ne sentons pas le sang circuler en nous à chaque instant. C’est une sensation qu’on ne réalise que lorsqu’elle cesse. Lorsque je me suis éveillé à ma non-vie, c’est cette absence de mouvement dans mon corps qui me frappa tout d’abord.
Aujourd’hui encore je ne sais pas vraiment ce qui nous permet de nous mouvoir. Notre corps est mort, sans aucun doute - Je m’en rendis compte lors de ma première nuit avec Céline suivant ma transformation. Cependant, nous pouvons marcher, courir, sauter, frapper… tout cela avec plus de force, de vitesse, de précision et d’équilibre que le plus athlétique des hommes.
Je sortis par la fenêtre et profitais de la nuit. Mes yeux étaient naturellement fait pour l’obscurité, et je comprenais le hurlement des loups qui provenaient de la forêt, je sentais l’odeur des créatures autours de moi, j’entendais presque le sang couler dans leurs veines. Mon euphorie dura deux nuits. Puis vint la soif…
Nul autre qu’un vampire ne peut comprendre ce qu’est la soif de sang. C’est en fait la véritable malédiction du vampire. Car la soif ne vous tue pas, elle ne vous empêche ni de vous mouvoir, ni d’user des curieux talents de mon espèce… Elle n’est que douleur. Mais une douleur terrible qui vous obsède à chaque instant, vous ôte le sommeil et la joie. Et qui n’a pas de fin. Une douleur à vous rendre fou… et c’est d’ailleurs ce qui arrive le plus souvent.
Je ne suis pas de ces vampires romantiques qui jurent ne jamais toucher aux humains. Ma première proie fut une humaine, une fillette… Pas par cruauté, par une simple logique de prédateur : les humanoïdes n’ont pas de crocs ni de griffes, ils ne courent que moyennement vite, ils n’ont aucune fourrure pour les protéger et leurs sens sont ridiculement peu développés. Du véritable bétail en quelque sorte. Cependant, je ne suis pas sans pitié et comme beaucoup de jeunes vampires j’ai essayé de résister à la soif. En pure perte… durant toute une nuit j’ai erré, plié en deux sous la douleur, l’âme en feu, c’est juste avant le lever du jour que j’ai entendu la fillette… Je n’ai pas eu le courage de retenir mon corps. Et je sais que je ne le ferai jamais : Il n’est pas de met pour un mortel, même la peau d’une amante, qui égale le goût du sang pour un vampire.
L’exil
Lorsque je revins la quatrième nuit, Céline ne me posa pas de question. Elevée dans le dessein de devenir une bonne épouse bourgeoise, elle semblait attribuer ma disparition à une aventure somme toute commune chez les gens aisés. Cependant, je crois qu’elle fut un peu blessée par cette pensée… Sans doute m’aimait-elle un peu.
Je passais les semaines qui suivirent à trouver une nouvelle organisation à ma vie : ne pouvant plus commercer au marché, j’engageai un commis qui, je n’en doute pas un instant, me vola honteusement, mes nuits étant trop occupées pour vérifier les comptes… Je pris contact avec des nains noirs qui vivaient dans une mine à quelques lieues de la ville. Aimant la lumière du soleil aussi peu que moi, je leur proposais un commerce sous les étoiles qui les convint tout à fait. Je justifiais mes absences diurnes par une maladie des bronches qui m’interdisait l’air poussiéreux de la ville. Tout cela n’était qu’un rideau de fumée mais je ne m’en souciais.
Ce n’est qu’après plusieurs mois que ma nouvelle condition me porta un rude coup. Jusque là, ivre de mes nouveaux pouvoirs tels que la manipulation mentale, la métamorphose et l’invisibilité, je ne m’étais plus penché sur la magie traditionnelle. Par jeu, je voulu tester les limites de mon corps en lançant les sortilèges les plus complexes des livres de Rodolphus. En vain. Un peu déçu, je me rabattis sur des incantations maintes fois répétées. Là encore ce fut un échec. Je passais plusieurs nuits sur mes grimoires, me réfugiant dans l’espoir que tout cela n’était du qu’à une maladresse dans mes mouvements, plusieurs nuits sans succès, plusieurs nuits d’une frustration grandissante, d’une amertume terrible, d’un dépit si puissant qu’il m’en coupa la faim. La faim mais pas la soif.
Absorbé par mes études et la certitude de plus en plus grande que cette nouvelle existence était incompatible avec la magie, je n’avais pas senti la soif. Lorsqu’elle me pris, cela fut plus cruel que la première fois, car je connaissais déjà les délices du sang.
En me jetant sur Céline, je m’étais juré de ne pas la tuer complètement, de lui faire partager mon éternité. Hélas, comme pour la magie, certains aspects du vampire semblait m’être interdits : la nuit suivante le corps sans vie de ma compagne ne se leva pas.
Je quittais Eltopian cette nuit là… N’emportant que les plus précieux livres de Rodolphus. Mon voyage à travers des contrées que vous ne connaissez que par les trouvères serait un récit à vous faire rester ici toute la nuit mais, je n’ai pas envie d’en parler. Il y a ici des oreilles innocentes et je ne voudrais choquer celles-ci. Pendant des années, peut-être des vies pour nombres de mortels, je rencontrais des magiciens de plus en plus puissant pour les interroger sur mon état. Prenant bien soins, qu’aucun ne puisse rapporter mon triste pas une fois que j’eu quitté leur maison.
J’appris des ces que mon sang originel était celui d’un sorcier, pas celui d’un magicien… Or, pour un sorcier, la magie est une extension de sa vie. M’ayant ôté la vie, je m’étais privé de la magie. En revanche, si mon sang était corrompu, il était toujours en moi, et je bénéficiais toujours d’une protection aux sortilèges qui me fut très utile durant la deuxième partie de mes visites. La moins agréable pour mes hôtes.
De ces discussions, j’appris aussi que quelque part, vers l’Orient, des érudits en savaient plus que quiconque sur les mort-vivants et autres créatures de la nuit… Je me mis donc en route vers l’Orient. »
_________________
Mon sourire est aguicheur... tant que tu ne vois pas mes dents
|
EXCELLENT!
)
(paix à son âme)
