[Musique de Fond]
Comme nous venons le voir, le destin déjà bien tortueux d’Oihana a pris un tournant dramatique à cause d’une simple erreur administrative mettant en jeu un gros livre, des divinités et un syndicaliste. Cette erreur ayant été développée de manière exhaustive au chapitre précédent, analysons à présent ses répercussions sur le dérisoire monde des mortels.
Bien que cela n’ait aucun lien direct avec Oihana, il me semble qu’il est important de faire un hommage à la personne qui a le plus pâtit de cette méprise : Oihamy l’elfe. Et cela, non parce qu’il avait une valeur narrative ou morale quelconque, mais simplement parce qu’en dépit du bon sens et des avertissements de sa chère maman il alla au bout de ses convictions.
En effet, Oihamy fut investi en songe d’une mission par le dieu Frafloum en personne : délivrer Welmerbourg, son village natal, du joug de l’abject nécromancien connu sous le nom de Grümwit le Ténébreux. Sa mission tourna au carnage quand on ne lui donna pas les pouvoirs surnaturels qui étaient intrinsèquement liés à sa vocation. Jusqu’au bout, il nargua ses adversaires en invoquant le nom de Frafloum. Jusqu’au bout il lui fit confiance pour lui donner ses pouvoirs au moment le plus dramatique. Jusqu’au bout il conserva cette fougue et cette détermination inflexibles… Et même quand un squelette lui asséna le coup fatal, transperçant son torse de sa main osseuse, Oihamy essaya vainement de lancer un sort.
Rendons donc hommage à ce valeureux guerrier , bien qu’il soit un elfe, par quelques instants de silence.
…
encore un peu…
…
voilà…
La tradition étant respectée, passons à la suite de notre récit.
Comme nous l’avons vu précédemment, Corwin avait prêté le serment de se faire le chevalier servant d’Oihana, ce qui lui avait valu quelques sacrifices, dont celui de sa vie. Oihana, elle, n’avait rien demandé à personne, mais accepta la présence de l’héroïque jeune homme avec résignation, faute de mieux.
Les deux morts erraient sans but précis, les deux cherchaient à se libérer de la non-vie pour enfin trouver le repos. Cela serait atteint uniquement quand la Mort daignerait enfin pointer le bout de son nez. Ou du moins de l’orifice qui le remplaçait sur son crane.
Au fil du temps, une routine s’installa peu à peu entre eux… Oihana semblait ne pas se remettre du trouble et du traumatisme des événements de son passé et se contentait la plupart du temps de se mettre en boule au pied d’un arbre et de regarder dans le vide pendant des heures, répondant de manière monosyllabique aux questions de Corwin.
Corwin, lui, quand il n’était pas frustré des réponses d’Oihana, faisait passer le temps en chassant, en s’entraînant, en lisant, en composant des poèmes d’un lyrisme affligeant sur sa mort… bref, le genre d’activités que font des morts quand ils s’ennuient.
Or, par une chaude matinée printanière, alors que Corwin était parti chasser des lapins dans la forêt, laissant Oihana seule au campement, un événement dramatique se produisit. La petite undead avait en effet trouvé un arbre fort à son goût et approprié pour ses contemplations diurnes. Elle s’installa donc à son pied et sans qu’elle ne s’en aperçoive, s’y assoupit d’un sommeil profond. Un sommeil de mort, comme on dit.
Par un hasard fâcheux, il se trouvait que le campement des deux mort-vivants était situé à proximité d’un village peuplé d’agriculteurs peu enclins aux choses de l’esprit. Par un hasard encore plus fâcheux, deux des habitants de ce village, des paysans bourrus aux mœurs rudes mais généreuses, trouvèrent ce campement et la jeune Oihana endormie.
Son teint pâle, son regard paisible et son immobilité ne les trompèrent pas : cette jeune fille était morte.
-Ardé, eul Gastus, esti po oune p’chiotte qu’a passé ? [Holà, mon brave Gastus, n’est-ce point là une jeune fille qui est décédée ?] s’exclama le premier avec exaltation.
-Por li crins dmi pare ! Ti vérace ! [Par la pilosité faciale de mon géniteur ! Ce que tu dis est véridique !] répondit l’autre avec émotion.
-Voirion ceul di lo… [Allons voir cela de plus prés…] dit le premier.
Les deux fermiers s’avancèrent vers Oihana. Plus ils avançaient, plus le sentiment de malaise grandissait en eux… cette petite était bien morte, mais quelque chose n’allait pas.
-J’divrons po li brêcher, qu’ti disions ? [Ne penses-tu point que nous devrions la mettre en terre ?]
-Tèt qu’ouè…’tfois savions po sa vnue… [Cela ne serait pas déraisonnable, cependant nous ne connaissons point son passé, ses origines ni ce qu’elle fait içi…]
-Crevingranouille ! Pouvions po eul chter ! [Mais enfin, nom d'une pipe! Nous ne pouvons quand même pas l'abandonner içi !
Les deux villageois s'accordèrent donc à faire une cérémonie d'enterrement à Oihana. Cependant aprés une réflexion un peu plus poussée, ils décidèrent plutôt de l'incinérer... aprés tout on ne savait pas de quoi elle etait morte et ca tuerait les microbes. Et puis creuser un trou c'était bien fatiguant avec tout ce soleil. La vérité est qu'Oihana les mettait trés mal l'aise et que sa désintégration les appaiserait plus que s'ils l'avaient laissée "entière". Même a six pieds sous terre.
Et tandis que Corwin traquait des petits lapins, alors que les villageois amenaient Oihana sur un bucher improvisé, la jeune morte rêvait. Elle n'avait jamais dormi et encore moins rêvé depuis sa mort.
Pourquoi donc, demandera le lecteur suspicieux, Oihana se met-elle soudainement à dormir et à rêver en un moment si critique, et surtout pourquoi ne se réveille-t-elle pas alors qu'on la traine dans tous les sens pour la brûler?
Et bien la réponse est toute simple et à un rapport étroit avec certaines tâches administratives divines. Oihana était tout simplement en train de recevoir le don divin de Frafloum destiné à Oihamy. Son énergie entière, son esprit entier, sa conscience et tout son être étaient absorbés par l'épuisante tâche qu'était l'acquisition de son potentiel magique.
Elle ne se souvint plus précisemment de son rêve, mais il lui semblait que celà avait un rapport avec quelque sorcier ténébreux, des squelettes et un elfe se faisant découper en morceaux...
Oihana fut donc posée sur le bucher délicatement par les plus scrupuleux villageois. Les moins scrupuleux fouillaient dans le campement des deux undeads.
La cérémonie fut courte. On essaya de faire un discours en l'honneur de la vie vertueuse d'Oihana, mais personne ne savait qu'elle sorte de vie elle avait mené. Mais d'aprés ses frasques et son jeune âge on se dit qu'elle avait du être trés malheureuse et que c'était bien dommage de mourir si jeune. De toute facon, le patois prononcé était si rudimentaire qu'il est inutile d'essayer de développer exhaustivement le contenu de ce discours.
Les plus sensibles versèrent quand même une larme.
Suite à celà, une succession d'évènements dramatiques s'enchaînèrent.
Tout d'abord, le villageois que le sort avait choisi (grâce au sacrement antique de la courte paille) s'était approché du bûcher, une torche à la main.
Il n'avait cependant pas eu le temps de mettre le feu à la morte que le bûcher facétieux décida de prendre feu de lui même.
Les villageois, au comble de la panique, se mirent à crier leur effroi dans un patois incompréhensible en gesticulant de manière trés visuelle.
Corwin, qui n'était pas trés loin entendit les cris, et sentant que l'heure de l'action tant attendue était enfin arrivée, sortit sa rapière et partit d'un pas leste et courageux en direction du village, abandonnant les lapins à leur morne vie de rongeurs.
Ce qu'il trouva au village l'horrifia. Sa maîtresse, sa muse, son adorée, brulée vive (dans le sens le plus large possible) tandis qu'une meute de sauvages proféraient des incantations dans une langue démoniaque en gesticulant de manière malsaine.
Le sang de Corwin, qui malgré sa mort n'avait pas coagulé, ne fit qu'un tour. Il courut dans le tas pour couper, trancher, éviscérer les abjectes créatures maléfiques et sauver la dame de sa vie.
Les villageois déjà affolés ne comprirent pas ce que signifiait ce nouveau fléau qui leur tombait dessus. Leur trouble fut cependant de courte durée, Corwin ne leur permit pas de pousser leurs réflexions métaphysiques au niveau supérieur.
Quelques instants plus tard, tout ce qu'il restait de cette scène était une terre rougie par le sang des villageois qui la foulaient encore une heure plus tôt et un chevalier tâché par ce même sang, lachant son arme pour courir auprés du bûcher où brulait encore Oihana.
Etrangement, Oihana brûlait mais ne semblait pas se consûmer. Corwin se mit a genoux devant le bûcher, se lamentant d'être arrivé trop tard et de n'avoir pu épargner cette souffrance à sa protégée.
Oihana gémit dans son sommeil et marmonna des paroles vides de sens.
-Maman... j'ai chaud... tu peux ouvrir la fenêtre?
Corwin leva la tête, rempli soudainement d'une vague d'espoir.
-Oihana? Etes vous consciente? Allez vous bien? demanda-t-il sans vraiment s'attendre à une réponse.
Oihana ouvrit les yeux.
Elle regarda le ciel pendant de longues secondes. Et s'assit, regardant autour d'elle un peu confuse. Elle ne semblait pas remarquer les flammes qui dansaient autour d'elle et devant ses yeux.
-C... Corwin? Je me sens pas bien...
Elle essaya de se relever mais tomba au sol, aux pieds de Corwin. Les flammes la suivirent. Le chevalier prit son courage et Oihana à deux mains et se brûla tout en essayant de contenir sa souffrance.
Oihana reprit confiance, mes les flammes ne semblaient pas vouloir la quitter. Elle s'assit au sol et regarda attentivement ce qui restait du village qui l'entourait. Corwin, lui, semblait assez embété. Il avait en effet secrètement nourri l'espoir qu'il pourrait un jour embrasser et serrer dans ses bras la jeune undead, et dans son état actuel, la chose semblait plutôt compromise.
Fort heureusement, les choses s'arrangèrent. Après plusieurs heures d'embarassement, des heures durant lesquelles Oihana mit le feu à trois arbres en s'appuyant dessus et durant lesquelles Corwin chercha une utilité quelconque à la situation de sa protégée en faisant cuire le lapin qu'il avait attrapé sous son nez, aprés plusieurs heures donc, les flammes s'arrêtèrent aussi subitement qu'elles étaient venues.
Peu à peu, la non-vie des deux compagnons reprit son cours normal, à un détail prêt. En effet, Oihana put constater que depuis son petit incident (ou incendie) sur le bûcher, elle semblait pouvoir volontairement ou non mettre le feu à des choses qui l'entouraient.
Elle s'en rendit compte lorsqu'elle éternua et qu'un écureil qui gambadait gaiement à ses côtés prit feu. Avec le temps, elle apprit à contrôler cette magie et à n'être plus qu'un danger minime pour son entourage.
Ni Corwin, ni Oihana ne sut d'où venaient ces mysterieux pouvoirs. Ils auraient pourtant bientôt à le découvrir et à subir de nouvelles aventures qui en découleraient...