[Musique de Fond]
La vie de chacun n’est pas, comme on veut bien souvent le faire croire, un fil qui évolue dans le temps. Un fil coupé quand la vie s’arrête… C’est en fait bien plus compliqué que ça. Les vies de chacun se croisent, se coupent se transforment et influent les unes sur les autres, si l’on veut garder la métaphore du fil, un gros nœud bien complexe serait plus approprié.
Il serait donc bien arrogant, en essayant de décrire la vie – ou la mort – d’un personnage, ici celle d’Oihana en l’occurrence, sans prêter plus d’attention aux fils qui l’entouraient.
Pour poursuivre la narration de cette fresque épique que sont les aventures d’Oihana, il convient de conter les aventures d’un autre jeune homme qui eut une influence énorme sur elle. Un de ces fils avec lesquels elle avait fait un gros nœud qui la suivrait jusque dans l’éternité…
Corwin était un jeune chevalier à l’allure noble et au port altier. Il avait une prestance certaine et était probablement ce qui se faisait de mieux en terme de cliché de preux chevalier. Courtois, généreux, aventurier, il était le descendant d’une lignée de chevaliers non moins valeureux, et était en outre charmant.
Corwin était sans cesse en quête d’aventures, défendant la veuve, l’orphelin et des idéaux métaphysiques élevés, combattant de farouches monstres et semant le bien autour de lui tel un bienveillant agriculteur.
Sa monture, le fidèle Grayswandir, l’accompagnait dans ses périples, chevauchant comme le vent avec un cœur aussi noble et pur que celui de son maître.
Par une journée fraîche mais ensoleillée - une journée rêvée pour pourfendre du monstre aurait dit Corwin en riant à ses amis de la taverne – un événement assez insolite se produisit.
Alors qu’il pistait un gnoll lvl5, qui avait traîtreusement attaqué un fermier, tué sa femme et violé son bétail, et qui avait en plus accompli ses méfaits avec un plaisir non dissimulé.
Corwin, prenant à cœur la situation dramatique du fermier et le déshonneur fait à son bétail traqua la bête pour mettre fin à ses jours.
Il trouva le monstre dans une petite clairière. Ce dernier avait trouvé une nouvelle proie qu’il dévisageait en bavant dans le plus pur style monstresque. Sa nouvelle proie était une jeune fille à la peau d’une pâleur froide qui se tenait immobile au milieu de la clairière. A côté d’elle était un cheval étrange, d’une pâleur cadavérique qui lui donnait un aspect presque translucide. Cette vision fantomatique donna à Corwin des frissons dans le dos, mais les yeux de la jeune fille reflétaient une mélancolie et une tristesse profonde, qui le touchèrent au cœur.
Corwin sortit sa rapière vaillamment et se lança en avant.
-Hardi, Grayswandir ! Sus à cette abjecte et indigne créature venue des abysses !
Le temps qu’il finisse sa tirade héroïque, Corwin était déjà au niveau du monstre et lui avait soigneusement détaché la tête du corps avec son épée. Il descendit de sa monture d’un bond gracieux, essuya sa lame sur la dépouille du monstre et se tourna vers la jeune fille au regard mélancolique.
-Dites moi, belle enfant, que faites vous seule au milieu de cette clairière ? Ce monstre aurait pu vous réduire en charpie.
Il n’eut pour seule réponse qu’un haussement d’épaules timide et un regard humide et pénétrant. La jeune fille semblait porter un poids sur le cœur, une tristesse indéfinissable mais qui l’entourait comme une aura. Corwin le sentait, le voyait et fut pris de compassion pour cet être chétif et désarmé.
-Jeune damoiselle, de quels maux souffrez vous ? Votre douleur glace mon âme !
Elle ne répondit toujours pas mais une larme coula sur sa joue.
C’en fut trop pour le petit cœur sensible de Corwin qui fondit. Il s’émut, ses lèvres tremblèrent et d’un élan de son cœur noble se mit à genoux devant Oihana.
-Ma jeune protégée, considérez moi comme votre bienfaiteur. J’en fait le serment, par les très saintes oreilles de Ferlwen mon aïeul et par ma vie, je ferais tout ce qui est en mon pouvoir pour chasser votre mélancolie et rétablir votre sourire. Un doux visage comme le votre ne mérite pas cette souffrance… Considérez moi comme votre chevalier servant, votre esclave, mais laissez moi vous aider, quelles que soient vos difficultés et les épreuves que je rencontrerais et même si cela doit me coûter la vie.
Ce genre de serment, bien que donnant un côté solennel et épique à toutes sortes de situation est bien souvent regrettable. Le noble esprit de chevalerie de Corwin l’avait poussé à faire cette promesse sur un coup de tête, sous l’action enivrante de l’émotion. Evidemment, si Corwin avait compris à ce moment précis les conséquences que cette promesse allaient avoir pour lui, il se serait certainement fourré son noble esprit de chevalerie là où le soleil ne brille pas.
Oihana haussa les épaules et esquissa un sourire forcé.
A partir de ce jour, Corwin ne lâcha pas la jeune undead d’une semelle. Il ne savait pas qu’elle était undead et éprouvait un malaise quand il la voyait rester des nuits entières assise les yeux ouverts, mais il mettait ça sur le compte du traumatisme qu’elle avait du vivre.
Quelle jeune fille mystérieuse… Quel secret cachait-elle ? Pourquoi cette tristesse ? Il devait certainement y avoir un moyen de réchauffer son cœur souffrant.
Elle ne parlait que rarement, et semblait ne pas vouloir s'épancher. Peut-être sa blessure était elle encore trop récente, ou trop vive, Corwin n'en savait rien.
Après quelques semaines à ce rythme, il commençait à désespérer. Il ne faisait que la suivre, l'accompagner, et Oihana semblait à peine le remarquer. Aucune créature démoniaque à pourfendre, pas de vierge en péril à sauver, même pas de bonne conversation à entretenir.
L'ennui total.
Corwin se dit que peut-être si il partait discrètement, personne n'en saurait rien et sa dignité chevaleresque n'en serait pas ébranlée. Mais non... il chassa cette pensée de son esprit, c'était le chemin de la facilité. Il devait d'abord s'acquérir la confiance de la jeune fille.
Et connaître son nom serait un bon début.
C'est quand il s'y attendit le moins que les choses s'éclaircirent le plus.
Oihana se dirigea vers lui avec une résolution nouvelle dans les yeux.
-Corwin? Vous voulez m'aider? demanda-t-elle maladroitement.
Le preux chevalier, affairé à éplucher des pommes de terre pour le repas du soir leva deux yeux surpris vers l'undead et se leva d'un bon, rempli d'enthousiasme.
-Demandez ce que vous voulez, princesse, jusqu'à ma mort, pour votre salut!
Oihana rougit imperceptiblement à ces mots et baissa les yeux avant de continuer.
-Il faudrait que...j'aimerais trouver la Mort.
Les yeux de Corwin s'écarquillèrent et sa bouche s’ouvrit sans qu’aucun son n’en sorte. D’un ton presque offensé, il se frappa la poitrine du poing.
-Jamais, vous m’entendez, jamais je n’oserais porter la main sur vous ! Comment osez vous me demander de…
Oihana posa une main apaisante mais glaciale sur son poing pour le calmer.
-Je ne vous parle pas de me tuer. (elle eut un moment d’hésitation et un regard attristé) Il est trop tard pour ça… Je parle de la Mort, avec sa faux et sa cape noire.
Un long silence suivit cette tirade inattendue. Corwin regarda Oihana suspicieusement et commença à se rendre compte de l’ampleur de la galère dans laquelle il s’était fourré.
-La Mort ? demanda-t-il.
-Oui… la Mort, répondit Oihana, rougissante.
-Mais écoutez, ma noble demoiselle, ce ne sont que des contes destinés à…
Il fut interrompu par le regard profond d’Oihana, qui en dit plus sur la Mort et sa rencontre avec elle qu’une explication aurait pu le faire. Un frisson parcourut le dos de Corwin. Mais dans quelle galère s’était il fourré ??
Ce soir là, Oihana raconta toute son aventure à Corwin, son enfance, sa mère, sa mort, la Mort, Bigadin. Plusieurs fois elle éclata en sanglots au milieu de son récit. Elle n’avait jamais parlé autant depuis sa mort. En fait elle n’avait jamais parlé depuis sa mort. Corwin se mordit la lèvre de dépit pendant toute son histoire. Mais dans quelle histoire de fou avait-il encore mis son nez ? Il n’y avait aucune issue au problème de cette donzelle, mais il n’était plus question de la quitter.
Corwin ne dormit pas cette nuit là, du moins le crut-il. Il fut toutefois réveillé aux premières lueurs de l’aube par l’undead qui semblait agitée. Elle parlait vite, trébuchant sur chaque mot et visiblement émue.
-Corwin ! Je vous prie de m’excuser de vous réveiller à une heure si ingrate, mais… je.. comment dire… il me semble savoir comment vous pouvez me sauver ?
Le chevalier leva des yeux embués sur la jeune fille qui ressemblait particulièrement à un cadavre sous la froide lumière matinale.
-Hein ? quoi ?
-Et bien, reprit Oihana en hésitant un peu, vous… vous m’avez juré de m’aider, même si ça doit vous coûter la vie…
-Hum… oui, répondit Corwin en sentant que cette dernière réplique n’augurait rien de bon, vous savez des fois on dit des choses un peu à la légère et…
-Il faut que vous mourriez ! Il faut faire revenir la Mort.
-Euh mais…
Une goutte de sueur ruissela sur la tempe mal rasée du chevalier. Il n’y avait aucune méchanceté dans la voix ou le regard d’Oihana. Elle était d’une sincérité et d’une naïveté désarmantes.
Mourir avec honneur et la récompense suprême de chaque chevalier. Donner sa vie pour en sauver une autre est un principe extrêmement répandu parmi eux et de nombreux ménestrels louent les mésaventures de chevaliers morts pour sauver leur dulcinée. Ces aventures étaient touchantes, mais bien plus jolies en chanson qu’en pratique. Et dans ce cas précis, la dulcinée en question était déjà morte… qu’est-ce qui pouvait la sauver ? Et un coup d’œil rapide dans les alentours fut suffisant pour comprendre qu’il n’y avait aucun ménestrel pour assister à l’acte de bravoure demandé et en faire un chant émouvant.
Avec un soupir triste et un nœud au fond de l’estomac. Corwin accepta. Mourir pour quelqu’un sans que cela se sache était une vraie preuve d’héroïsme. Mais là c’était de la pure folie, du suicide. Avec une voix tremblante il répondit à Oihana.
-Si cela peut vous restaurer, si cela peut vous apaiser, j’accepterai, ma douce amie. Mais je ne saurais porter moi même le coup qui mettra fin à mes jours, serez vous capable de le faire ?
Oihana acquiesça avec un haussement d’épaules. La mort de lui faisait pas peur. Corwin continua.
-En ce cas, pour seul salaire, je ne demanderais de vous qu’un unique baiser. Un simple baiser pour consoler mon âme tourmentée. Un baiser que j’emporterais avec moi dans l’éternité.
Oyez, oyez, braves gens, de sir Corwin la triste aventure..
Oihana s’approcha de lui doucement. Il ne servait à rien de repousser l’inévitable. Elle l’embrassa tendrement avec une maladresse de jeune fille qui lui laissa un goût de formol dans la bouche.
Qui pour sauver la vie d’une dame souffrante…
Corwin, rempli d’une peur qu’il n’avait jamais connu jusque là se tourna vers Grayswandir et lui caressa le museau.
-Adieu mon brave Grayswandir. Tu m’auras été fidèle jusqu’au bout.
Dut tout quitter, biens, gloire et monture…
Il fit de nouveau face à Oihana, des larmes aux yeux. La jeune fille tenait dans sa main une petite dague.
Mais cela ne suffit pour combler ses attentes…
-Prêt ? demanda-t-elle avec un sourire d’enfant.
-Allons-y, soupira Corwin.
La délicieuse princesse lui demandait sa vie
Corwin la lui donna mais sa fin fut inutile…
Quelques instants plus tard, Corwin était au sol, son sang se répandant sur le sol, la poitrine percée par la dague d’Oihana. Celle-ci, les mains et la robe couvertes de sang regardait vers l’horizon.
La Mort n’était pas venue.
Oui, en vain il paya cet onéreux prix…
Car le fond de cette histoire fut une méprise bien futile.
Elle soupira tristement et regarda sa robe imbibée du sang de Corwin. Quel dommage… il était si gentil.
Mais les choses n’étaient pas terminées pour Corwin… Il avait fait le serment de ramener le sourire à Oihana, même si cela lui coûtait la vie. Et il avait en effet payé de sa vie, mais cela n’avait pas suffit. Sa promesse n’avait pas encore été accomplie.
A son arrivée au paradis des héros, on le botta violemment à l’arrière train en lui faisant comprendre qu’on n’acceptait pas les héros parjures chez nous.
Son âme retomba lourdement dans son corps et ses yeux s’ouvrirent.
Il se leva, s’épousseta, constata qu’il avait beaucoup de sang sur les habits et que c’était sale et regarda Oihana. Elle avait toujours cet air mélancolique et triste. Visiblement la Mort n’était pas passée.
-Ben ça valait bien la peine de me tuer tiens… dit-il en essayant de cacher son amertume.
-Oh vous êtes là vous ? demanda Oihana peu surprise.
-On dirait bien…
-Je suis désolée… ça a pas marché… dit l’undeadette en rougissant.
-Grmmbl… j’ai vu… bon… on fait quoi maintenant ?
Oihana lui sourit tristement et pour seule réponse enfourcha Bigadin. Corwin monta Grayswandir et les deux cavaliers partirent vers l’horizon en chantonnant un air d’Ennio Morricone…