Quelques extraits du livre :
"Les coulisses de la grande distribution de Christian Jaquiau" (Albin Michel) Prix Griffe Noire du meilleur essai 2000
Du système de distribution moderne et performant de l’origine, la grande distribution n’a pas tardé à dévier vers un système extrêmement pervers qui l’a conduit à séduire le consommateur en l’appauvrissant chaque jour davantage.
Des empires se sont constitués sur nos friches commerciales et industrielles, sur le principe de la délocalisation organisée en méthode de gestion, sur celui de la désindustrialisation et sur la déshumanisation de notre pays.
Une concentration sans précédent :
Les bénéfices servent à auto-alimenter un système sans cesse plus destructeur et plus confiscateur, au seul profit des « prédateurs » de l’économie moderne. Leur objectif est clair : « s’accaparer à leur seul bénéfice l’ensemble des secteurs marchands encore générateurs de profits »…
Pour les pays du Sud : la misère, la pauvreté puis l'oubli et la mort...
Avec leur puissance d'achat renforcée par l'internationalisation du système, un pouvoir de négociation surdimensionné associé à une puissance financière considérable, nos ultracapitalistes hexagonaux peuvent désormais conquérir le monde.
La Chine, les pays de l'Est, l'Amérique du Sud sont autant de terrains d'expérimentation. Il manque un sixième continent sur notre petite planète pour satisfaire l'appétit de la grande distribution française. Les dégâts seront bien pires encore dans ces pays où il n'existe pratiquement pas de couverture sociale.
Ceux qui seront éliminés du circuit n'auront pas d'échappatoire, ce sera la misère, la pauvreté puis l'oubli et la mort...
Un phénomène qui se généralise...
La grande distribution veut coloniser et dominer l’économie nationale puis internationale. La destruction du commerce de proximité et des emplois directs et indirects qui s’y rattachaient a été une première étape. Elle veut, à présent, se substituer aux acteurs économiques traditionnels, prendre leur place et les faire disparaître.
Les intermédiaires ont été remplacés par un « intermédiaire unique », qui achète pour revendre, sans transformation, sans apport de valeur ajoutée, avec un minimum de manipulation, un strict minimum de personnel et capte les marges intermédiaires de ceux qu’il a fait disparaître…
En quelques années, les industriels, ceux qui produisent de la richesse ont cédé leur place aux grands distributeurs, au classement des plus grandes fortunes françaises.
Tous les secteurs rentables et utilisant de la main d’œuvre sont susceptibles d’intéresser la grande distribution. Un secteur largement consommateur de main d’œuvre constitue « une niche » fantastique pour celui qui saura s’y investir et s’en affranchir. La suppression de nombre d’emplois constitue un gisement de profits quasi inépuisable.
L’évolution de la technologie de l’information, de la télématique, de la robotisation fournissent des arguments à ces " géniaux " précurseurs de l’innovation.
Un pays de non droit ? Des lois inapliquées...
Comment la grande distribution peut-elle poursuivre ses pratiques déloyales en toute impunité ? Les moyens existent. Ils sont dans les textes que le pouvoir politique s'évertue de ne pas faire appliquer.
Alors, pour gagner du temps et faire illusion, on légifère, encore et encore…
La France est le pays d'Europe qui compte le plus grand nombre d'hyper et de supermarchés par habitant. Les richissimes groupes qui contrôlent la grande distribution ont prospéré dans un cadre législatif bâti sur mesure, avec la complicité d'élus trop souvent corrompus.
Dans son livre ( La révolte des Caddies ), Michel-Edouard Leclerc passe aux aveux : « La vérité oblige à dire que près de la moitié des grands ensembles commerciaux ont été soumis à ce trafic. Certains promoteurs y ont cédé par nécessité; d'autres ont participé aux enchères pour évincer un concurrent ou s'assurer de la maîtrise du site ». Quelles que soient les motivations des distributeurs, les hommes politiques, eux, sont « passé à la caisse »…
S'il faut en croire le distributeur breton, la cartographie des implantations d'hypermarchés et de supermarchés pourrait bien coïncider avec celle de l'état de la corruption politique, dans un cas sur deux ! S'il fallait y ajouter la dynamique corruption immobilière et celle, généreuse, des Travaux Publics, que resterait-il aux élus intègres ?
Et que resterait-il, aussi, de nos dernières illusions ?…
La faute aux consommateurs ? Un mécanisme machiavélique...
Pour mener à bien son « œuvre », la grande distribution bénéficie de la collaboration d’alliés incontournables : les consommateurs. Plus particulièrement de ceux qui disposent du pouvoir d’achat le plus faible et qui subissent de plein fouet les effets de la crise économique.
Plus nous cantonnons notre consommation dans ces « machines à fabriquer de la misère » et plus nous nous rendons vulnérables.
Plus nous nous appauvrissons, plus nous recherchons des prix et plus nous sommes nombreux à nous ruer dans les rayons de « la grande dérision »...
Les grands prédateurs l’ont bien compris qui axent leurs campagnes de communication, quasiment exclusivement, sur « les prix » !…
Le mécanisme est machiavélique, remarquablement huilé, imparable. Le crime est parfait. La victime est consentante. Il était difficile, pour eux, de rêver mieux…
Des prix bas pour le consommateur ? C'est faux !...
La suppression des intermédiaires a conduit à raccourcir les circuits économiques, en passant directement du producteur au consommateur, via le puissant grand distributeur, mais les écarts entre prix à la production et prix dans le panier de la ménagère sont restés les mêmes. Seul le nombre des bénéficiaires s’est considérablement restreint…
Des prix bas ? On trompe le consommateur. Loin d'être bon marché, les produits sont dans le panier de la ménagère extrêmement chers. Peut-on encore parler sérieusement de prix écrasé lorsqu'un kilo de tomates acheté 1,50 franc à l'agriculteur est revendu 8,45 francs au consommateur ? Sur 140 000 références présentes dans les grandes surfaces, seulement 500 peuvent être considérées comme vendues à prix maîtrisés. Quant au reste…
Tous les secteurs de l'activité économique...
Au nom du mythe des prix bas, les consommateurs ont laissé se mettre en place une machine infernale. Largement responsable du règne de la mal bouffe, de la standardisation de la consommation et de l'appauvrissement économique, la grande distribution s'attaque à présent à de nouveaux secteurs comme la santé, la parfumerie, la beauté, le voyage, l'informatique, la téléphonie et même l'automobile, la banque et les assurances, menaçant de détruire à nouveau des milliers d'emplois.
Du poulet nourri aux boues de stations d'épuration d'eau ( et même aux déchets hospitaliers... ) en passant par la vache folle, la grande distribution nous impose notre consommation...
Manger sain ? Un véritable luxe de classe....
Pour contenir les prix et réaliser de confortables marges, les super et hypermarchés ont comprimé les revenus des agriculteurs et des industriels. Cette spirale infernale a conduit à un appauvrissement de la qualité des produits
que nous consommons. Manger sain devient alors un luxe qui n'est plus accessible à tous.
Une situation de quasi-monopole...
De concentrations en regroupements, les centrales d'achats françaises sont en situation de quasi-monopole. Elles imposent désormais leur loi à leurs fournisseurs qui n'ont d'autres choix que de se soumettre ou de disparaître.
L'impact au plan économique, humain, social, environnemental est énorme. Ces grands réseaux ont anéanti le commerce de proximité, ruiné l'artisanat, écrasé l'agriculture à taille humaine, désertifié nos campagnes, poussé l'industrie à délocaliser et favorisé les importations massives entraînant chômage, misère et précarité.
La concurrence disparaît et le choix du consommateur se restreint au fur et à mesure que de nouvelles concentrations s'opèrent.
Cinq centrales d'achats font la loi...
Concentrés, regroupés, les grands réseaux de distribution ont bien compris tout l'intérêt qu'ils pouvaient tirer de la disparition du commerce de proximité. Aux remises sur quantités sont venues s'ajouter des facturations de prestations parfois réelles, le plus souvent fictives, permettant aux distributeurs d'exiger toujours plus de leurs fournisseurs dans la plus parfaite illégalité. Ainsi, les fournisseurs doivent-ils non seulement consentir des prix, mais aussi payer un droit d’entrée pour être référencé, offrir à l’ensemble des magasins du réseau des marchandises gratuites lors des premières livraisons, payer pour voir leurs produits exposés à un emplacement privilégié ou en têtes de gondoles, payer pour financer dans leur intégralité les campagnes promotionnelles, payer pour figurer dans les catalogues, payer lors de l'implantation de nouveaux magasins, payer lors de la réfection ou de l'amélioration des plus anciens, payer même pour se faire payer leurs propres factures, payer et payer encore…
Il a été recensé près de 500 motifs utilisés par la grande distribution pour justifier d’avantages supplémentaires, sans contrepartie ! Ces remises en tous genres, plus connues sous le nom de marges arrières, arrivent à atteindre des taux cumulés de 40 à 45%. Elles s'ajoutent bien entendu aux remises sur quantité…
Destruction des entreprises : mode d'emploi…
Après être passé par les différentes étapes obligatoires que sont le paiement d’un droit d’entrée pour le référencement, la fourniture à l’ensemble des magasins du réseau de marchandises offertes ou largement bradées, avoir versé une contrepartie en espèces sonnantes et trébuchantes ou en marchandises pour que ses produits bénéficient d’un emplacement privilégié en têtes de gondoles, financé dans son intégralité les campagnes promotionnelles par sa participation à des opérations de type foire aux affaires, grande braderie ou autres 10 jours à prix coûtants, participé au coût de implantations, réfections et autres améliorations de magasins, l’industriel peut enfin maîtriser ses coûts. Il peut déterminer avec précision ce qui peut lui rester pour rémunérer son personnel, investir, se développer, essayer de conquérir des marchés étrangers, innover, assurer la recherche pour l’amélioration et le développement de ses produits...
Pour résister et offrir des prix sans cesse plus bas à l’insatiabilité des centrales d’achat, les fournisseurs doivent comprimer leurs coûts. Ils mécanisent, robotisent, rationalisent et dégraissent. C’est leur seul moyen de survie. Ils sont de plus en plus conduits à faire ce « sale boulot » qui pourrait être reproché aux grands distributeurs : importer ou délocaliser…S’il n’a pas délocalisé ou étranglé ses propres fournisseurs, il ne reste à ce stade, le plus souvent, pas grand chose. Dans des cas de plus en plus fréquents, il ne reste même plus d’entreprise…
On parle de Renault Belgique, puis de Danone, de Moulinex ou de Marks & Spencer, symboles de la globalisation économique. Puis très vite, l'actualité nous inonde d'autres informations qui occupent à leur tour les médias.
Pendant ce temps, la mondialisation économique, dans ce qu'elle a de plus déshumanisé, gagne du terrain, avec notre complicité…
A combien de milliers d'emplois détruits, à quel niveau de délocalisations, le personnel politique a-t-il fixé le seuil à partir duquel il prendra les mesures qui s'imposent ?
Anesthésié par de vilaines affaires de corruption, il ne pourra indéfiniment continuer à soutenir abusivement ses amis de toujours au détriment de l'intérêt collectif.
Il lui faudra un jour se résigner à légiférer au niveau européen, avant que de licenciements en plans sociaux, de délocalisations en importations massives, l'Europe ne deviennent une friche agricole et industrielle à la française…
La machine capitaliste s'est emballée sans que plus personne n'en ait véritablement la maîtrise. L'économie en se mondialisant est en train de se développer en oubliant l'une de ses composantes essentielles : l’être humain.
Les excès constatés, alliés à l'insécurité alimentaire grandissante (conséquences de la maladie de la vache folle, OGM, et bien d'autres…) vont amener le consommateur, maintenu trop longtemps éloigné du producteur, à se rapprocher de ses sources d'approvisionnement et à exiger de connaître la véritable traçabilité des produits qu'il achète. Il y a encore de gros efforts d'éducation et d'information à faire mais le moment n'est plus très loin où les consommateurs voudront savoir ce qui se passe réellement en coulisse, à quoi sert leur argent et ce qu'il rémunère réellement.
Commerce équitable, entreprise citoyenne et investissement éthique...
Le commerce équitable, l’entreprise citoyenne, et l’investissement éthique trouveront leur juste place dans un phénomène de balancier devenu inéluctable. Il faut pour cela que les producteurs jouent la carte de la transparence, en sachant accompagner voire anticiper le développement d'une agriculture respectueuse de l’être humain et de l’environnement.
Les agriculteurs doivent faire évoluer leurs revendications, trop souvent perçues comme catégorielles voire poujadistes, en apprenant à y associer le consommateur citoyen, trop longtemps négligé.
Les circuits courts permettront de restaurer une relation de confiance aujourd'hui disparue entre le monde agricole et le consommateur.
Si les agriculteurs et les consommateurs le voulaient…
Si les agriculteurs et les consommateurs s'entendaient,
le prix pour les producteurs pourrait être largement revu à la hausse sans que cette juste rémunération n'ait d'incidence dans le panier de la ménagère.
La compensation se ferait aisément sur les gigantesques marges que s'approprie indûment la grande distribution et que plus personne ne peut ignorer. Compliqué ? Utopique ?
Si les agriculteurs et les consommateurs le voulaient…
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Sourire suivant ? (4'59, extrait de "Là-bas si j'y suis", étonnant)
Je crois que je vais chercher un épicier, moi.