9. Combat
Illohan avait rejoint son maître quelques temps après la disparition du Tauren. Tous les trois repartir. Kayou se remettait à peine du choc. Morhindafol restait pensif.
-"Le Tauren a parlé de créatures sans vie. Je ne comprends pas ce qu'il voulait dire."
L'Elfe prit une inspiration, expulsa, mais resta silencieux. Il secoua la tête.
-"Je ne voulais pas t'en parler encore, mais il faudra bien que tu l'apprennes un jour. Mon ami Taurino parlait de morts-vivants."
-"Des morts-vivants… des personnes mortes qui reviennent à la vie."
-"Les Taurens ont une connexion avec la vie qui dépasse notre entendement. Quoi qu'il en soit, les Taurens ne les perçoivent pas comme des êtres vivants. Les végétaux et les animaux regorgent de vie. Même certains monuments très anciens, des épées légendaires ou des sources d'eau particulières renferment une étincelle de vie, qu'ils perçoivent. C'est ce qu'ils disent, mais tu peux les croire. Ils ne sont pas très doués pour la malice. Les Taurens sont les gardiens de la nature, les gardiens de la vie sans défense. Ils ont du mal à admettre qu'on puisse être aveugle en ce domaine. C'est pourquoi ils sont généralement violents avec les autres créatures qui à leur sens profanent la vie. Même les elfes, qui pensent pourtant vivre en harmonie avec la nature, coupent du bois, arrachent des feuilles pour fabriquer leurs objets quotidiens. Les Taurens ne l'apprécient guère. Celui que nous avons rencontré aujourd'hui peut-être considéré comme l'un des plus patient et diplomate d'entre eux. J'ai acquis sa confiance très difficilement, mais il est beaucoup plus compréhensif que ses congénères."
La journée commençait à s'obscurcir. Ils firent halte et préparèrent rapidement un repas. Ils prirent leur temps. Kayou avait compris qu'ils entraient dans un domaine qui touchait personnellement Morhindafol, et il laisserait son instructeur décider du moment propice où reprendre l'histoire. Ils s'installèrent pour la nuit, mais conservèrent une position assise, plus adaptée à une discussion sérieuse.
-"Bien, je vais continuer. Je t'ai donc dis que les Taurens ressentaient la vie différemment de nous, et notamment dans des objets qui ont un vécu, une histoire particulière. Mais ils ne ressentent rien pour les morts-vivants. Ils sont aussi vide que l'air, ou une pierre quelconque. Ils se sont posés bien des questions à leurs sujets. Ils y ont réfléchi plus que sur aucun autre sujet.
Il existe plusieurs points de vue pour chaque chose. Hélas, la majorité des Taurens ont fait des morts-vivants une sorte de divinité, une réincarnation vivante d'êtres supérieurs. C'est pourquoi on peut les voir souvent s'allier. Mais ce point de vue se défend comme un autre. Les morts-vivants se contentent de peu pour vivre. Ni froid, ni faim. C'est ce qui les rend redoutables. Il n'y a pas vraiment de moyens de les affaiblir, et c'est toujours contre un guerrier en pleine possession de ses moyens à qui l'on a affaire. Et ils sont toujours dotés d'une persévérance et d'une ténacité affligeante. C'est sûrement ce qui leur a permis d'atteindre leur statut. De leur vivant, ils n'ont pas pu obtenir ce qu'ils désiraient le plus, et n'acceptant pas leur mort, ils reviennent parmi les vivants pour accomplir leur rêve inachevé. Mais ce n'est jamais un avenir louable qui les attend. Leur soif, de pouvoir, de revanche, peu importe, finit par les déborder, et ils finissent par ne plus jamais vouloir partir et par oublier pourquoi ils sont revenus. Dès lors, ils errent sans but véritable parmi les vivants. Ils finissent par suivre leurs semblables dans une guerre qui a commencé depuis des éons et bien avant leur retour en ce monde.
Une guerre commencée par des êtres les plus retors que le monde ait jamais connu, et qui sont les seuls, malgré le temps qui passe, à conserver la tête froide. Pardonnes-moi l'expression. Nous voilà avec des guerriers de choc, avec à leur tête des âmes noires."
Morhindafol avait terminé ici son récit pour la soirée. Et un de ses derniers récits.
Kayou se fit réveiller en pleine nuit. Il lui avait semblé avoir tout juste fermer l'œil. Mais ils se passaient quelque chose de grave. Morhindafol avait plaqué une main sur sa bouche et l'invitait au silence. Ils se levèrent comme un seul homme. L'Elfe prit une direction qui semblait quelconque dans la nuit noire. Kayou le suivit en taisant ses pas autant que faire se peut. Au bout d'un moment, ils aboutirent devant un rocher énorme.
-"Dépèches-toi, grimpe."
Il l'aida à monter, puis escalada la paroi à sa suite.
-"Que se passe-t-il?", demanda Kayou, une fois qu'ils se furent bien installés au sommet.
-"Ils arrivent."
-"Ils arrivent? Tu veux dire les morts-vivants viennent sur nous. Mais… ce n'est pas une position défendable dans le temps, ici, tu le sais mieux que moi. Ils n'auront qu'à attendre qu'on se meure de faim."
-"Ce serait vrai si nous étions seuls. Il va nous falloir tenir un moment. Je ne sais pas combien ils sont, mais nous devrons tenir vaille qui vaille. Et ne te gênes surtout pas si tu dois te défendre. Tu as suffisamment de matière première, ici. Ton premier combat, si je ne m'abuse. Une dernière prière peut-être?"
Kayou n'en revenait pas qu'il puisse plaisanter en pareil instant. Se moquait-il seulement de lui? Il le souhaitait de tout son cœur. Il n'était pas près à affronter des périls, de nuit. Il ne se sentait pas l'âme d'un guerrier, encore moins d'un héro. Un tremblement sourd se fit entendre.
-"Ils sont au moins une dizaine. Prépares-toi, mon ami. Que ce combat soit un prélude à ton avenir de combattant de la vie."
-"Mais je ne veux pas être un guerrier. Je ne veux pas me battre."
-"Ha ha ha. Il aurait été bon de me prévenir plus tôt. Tout ce que je t'ai enseigné, c'est pour"
-"me préparer au combat, oui, je sais. Je l'avais compris. Mais vous ne m'avez jamais rien demandé. Vous ne m'avez jamais donné le choix."
-"Tu le savais, tu l'as donc accepté. Et aujourd'hui, tu as encore le choix: bats-toi ou meures. La vie peut être cruelle, je le sais, mais c'est la vie. Ils sont là!"
Une, deux, puis trois silhouettes se démarquèrent dans les ombres lunaires projetées sur le sol. Puis quatre, cinq. En effet, ils étaient une dizaine. Etrangement, cela rassura Kayou que Morhindafol possédait toutes ses facultés malgré la situation. Il reprenait confiance et s'imbiba de l'aura d'assurance de l'Elfe pour se calmer.
-"Quand tu veux, Kayou."
Ils étaient deux contre dix, mais ils étaient prêts à les accueillir. Kayou se concentra sur son environnement. Il avait à sa disposition des pierres de toutes tailles et en quantité. Et bien la danse va commencer. Il essaie de repérer les rochers sous les pas des assaillants et les fait exploser. Perdant leur équilibre, torturé profondément dans la chair, ils ne s'en relèvent pas moins rapidement. Leur cri augmente de volume, leur colère semble avoir gagné en intensité. Ils se remettent à l'assaut.
-"Notre ami Tauren ne sera pas content du tout!", dit Morhindafol.
Il se leva et tendit les bras en avant. Une brise se leva, de plus en plus forte, et déracina un arbre qui tomba sur les premiers guerriers. Des cris de colère émanèrent de ceux-ci, frustrés de se retrouver immobilisés. Mais les autres approchaient toujours. Ils semblaient y avoir également femmes. Et si Kayou n'avait pas été aussi dépassé par les évènements, il aurait peut-être déjà reconnu la démarche de l'une d'elle.
Les morts-vivants encore libres de leur mouvement continuaient leur avancée. Loin d'aider leurs compagnons coincés sous l'arbre, ils n'hésitaient pas à marcher sur le tronc qui n'était pour eux qu'un obstacle parmi d'autres sur leur chemin. Les armes brandies, ils n'avaient d'yeux pour les deux victimes. C'était une compétition qui s'était engagée. Au premier qui les abattrait.
Un deuxième arbre se mit à flancher. Mais cette fois-ci, le tronc s'embrasa et tomba à côté de ses cibles. Le feu commença à se répendre.
-"C'est gênant, ils ont un magicien avec eux."
Des pierres se mettent à siffler à leurs oreilles et Morhindafol, percutée par plusieurs d'elle, tombe en arrière. Kayou se jette sur lui pour le maintenir. Une blessure à la tête saigne abondamment. Il plaque sa paume dessus.
-"Correction: il y en a au moins deux."
Les pierres continuent de siffler, aussi Kayou se maintient aussi bas que possible.
-"La Terre, Kayou, c'est ton cercle. Tu peux t'en protéger."
C'était exact. Toutes les pierres qui passaient, ils les sentaient approcher. Il pouvait influer dessus. Il avait d'abord voulu les arrêter, mais le mort-vivant semblait plus puissant que lui. Il se contentait donc de les dévier de leur trajectoire. Ils étaient donc à l'abri. Des pierres en tout cas. Morhindafol écarta Kayou et se mit à plat ventre. Kayou put alors se concentrer davantage sur sa magie. Un festival de pierres et de poussières se mit à balayer les assaillants. Ces derniers étaient ralentis, mais guère plus. Un hurlement féroce se fit entendre d'un coté de la forêt, suivit de pas de course imposant et lourd.
Taurino chargea. Une bête en furie. Il était plus loin, vers les derniers assaillants et les magiciens retardataires en prirent pour leur compte. Ils furent envoyés en l'air et projetés contre les arbres. On sentait la férocité du Tauren dans les mugissements qu'il lançait à chacun des ses coups. Il fit face au feu qui se propageait et lança une véritable averse qui éteignit instantanément le feu. Puis il fit face à ses ennemis, les crocs sortis et la mine sombre.
Si la situation s'était restée ainsi, les morts-vivants auraient eu une victoire facile. Aussi violent que puissent être les coups du Tauren, ils se relevaient à chaque fois. Les magiciens prirent leur distance pour lui infliger des dégâts alors que les guerriers blessaient le Tauren avec leurs armes. Tôt ou tard, Taurino aurait succombé. Puis ils seraient tranquillement passés à Kayou et Morhindafol. Ces deux derniers tentaient ce qu'ils pouvaient pour occuper les morts-vivants les plus proches d'eux, mais rien n'y faisait. A deux ou trois contre dix, le combat était perdu d'avance. Etait-ce là l'allié que Morhindafol attendait. Kayou n'en revenait pas. Qu'est–ce que cela avait changé. Il y aurait simplement une victime de plus.
Tout d'un coup, les morts-vivants s'arrêtèrent. Des bruits de chevaux commençaient à se faire entendre. Aussi loin que le Tauren puisse être, Kayou aurait pu juré l'avoir vu sourire. Les morts-vivants se mirent à décamper à l'opposé du bruit. Le Tauren ne se jeta pas à leur trousse, mais se dirigea droit sur le rocher, et c'est d'un bond gigantesque qu'il en atteignit le sommet.
-"Regardes", dit-il.
De leur point de vue, ils virent une douzaine de chevaux traverser leur champ de vision à toute allure, telles des flèches pointées sur le dos des fuyards. On entendit quelques instants après des bruits d'un combat, très bref. Puis le silence.
-"Qui est-ce, Morhin?"
-"Des GARDIEN, Kayou, des GARDIEN. Vas voir, mais annonces-toi à eux. Je t'attends ici. Rejoins moi après."
-"Tu es sûr que ça va?"
-"Ne t'inquiètes pas, mon ami, j'en ai vu d'autres. Vas, Taurino va rester avec moi."
Le Tauren n'avait pas dit un mot, et regardait fixement Morhindafol. Il se passait encore quelque chose, mais Kayou ne savait pas ce que c'était. Il descendit du rocher et se dirigea vers les bruits de voix qui commençait à rapporter les résultats du combat.
-"Il y a quatre femmes. Je n'ai jamais vu ça."
-"Oui, et la majorité des hommes sont des éveillés, et ça ne date guère vu leur état. Paix à leurs âmes tourmentées."
Taurino et Morhindafol se tenaient toujours sur le rocher. Un silence sinistre s'était installé entre eux.
-"Tu vas mourir, Morhin."
-"Je sais. Cette fois, ils m'auront eu. Je vais rejoindre mes camarades qui m'ont précédé. Mais il faut que je dise quelques mots à Kayou avant de partir. Il aura des questions, comme toujours. Je te demanderais une dernière chose, mon ami. Déposes moi contre un arbre, je t'en prie. Ce sera ma dernière volonté. Ne faire qu'un avec la nature."
-"Tout revient à la nature."
-"C'est vrai, tout revient à la nature. S'il te plaît."
-"Très bien."
Il le prit dans un bras, et Morhindafol fit une grimace de douleur. Le Tauren sauta à bas du rocher, et déposa l'Elfe contre un arbre, comme il aimait si souvent le faire. Ils se regardèrent dans les yeux un moment.
-"Adieu, Morhindafol." Il se retourna et partit.
-"Adieu. Taurino."
Dernière édition par kayou le Ven 28 Oct, 2005 8:26, édité 5 fois au total.
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