4- PASSE EN TANT QUE SATYNEH / RENCONTRE AVEC L’EAU :
La jeune Dame attendait majestueusement sur les berges du Lac.
L’aube d’un jour ensoleillé commençait déjà à iriser les vapeurs qui se dégageaient des eaux sombres.
Satyneh sourit : elle entendait encore la chaude voix masculine conter ce poème lors de la dernière veillée :
« Aube
J'ai embrassé l'aube d'été.
Rien ne bougeait encore au front des palais. L'eau était morte. Les camps d'ombre ne quittaient pas la route du bois. J'ai marché, réveillant les haleines vives et tièdes, et les pierreries regardèrent, et les ailes se levèrent sans bruit.
La première entreprise fut, dans le sentier déjà empli de frais et blêmes éclats, une fleur qui me dit son nom.
Je ris au wasserfall blond qui s'échevela à travers les sapins : à la cime argentée je reconnus la déesse.
Alors je levai un à un les voiles. Dans l'allée, en agitant les bras. Par la plaine, où je l'ai dénoncée au coq. A la grand'ville elle fuyait parmi les clochers et les dômes, et courant comme un mendiant sur les quais de marbre, je la chassais.
En haut de la route, près d'un bois de lauriers, je l'ai entourée avec ses voiles amassés, et j'ai senti un peu son immense corps. L'aube et l'enfant tombèrent au bas du bois.
Au réveil il était midi. »…
L’auteur de ce poème leur était inconnu, il avait sans doute le don de traverser toutes les portes du temps.
Pas une ride ne froissait le calme miroir aquatique, reflétant fidèlement les ténébreux sapins de la Montagne Noire.
Pas un son ne venait troubler la Dame immobile et recueillie… seuls quelques discrets clapotis chantonnaient la douceur matinale.
Mais cela ne durerait pas, elle le savait : bientôt les touristes, qui savaient se faufiler dans les endroits les plus escarpés et sauvages, débarqueraient avec leurs sacs de pique-nique.
Et Satyneh la Fée n’aimait pas les regards indiscrets.
Alors elle accomplit le rituel quotidien, avec des gestes tout aussi rapides que mesurés :
Les galets les plus lisses et les plus ronds furent disposés en cercle autour d’elle, et furent rajoutés des cristaux de roche aux quatre points cardinaux.
Elle prit de l’eau du Lac dans ses mains, et entra dans le pentacle, ainsi formé par 2 triangles invisibles, en se plaçant en son centre exact. Et, avec la rapidité de l’éclair et la précision d’un savant, ses mains dessinèrent dans les airs des figures sinueuses, tout étant calculé dans l’espace et le temps.
Elle reproduisit cette scène dans les 4 directions opposées. Et ses mouvements étaient si gracieux et limpides qu’on aurait dit une chorégraphie aquatique.
Elle ouvrit les yeux, certaine du résultat : en effet un brouillard opaque s’était abattu sur les rives ; le Lac était maintenant protégé.
Le contact de l’eau froide ne la gêna pas le moins du monde.
Sept heures, sonna le carillon au loin vers la vallée : elle avait encore le temps de nager longuement avant de rejoindre sa Corporation.
Comme d’habitude elle se renversa sur le dos, et se déplaça à travers l’eau en ne bougeant que ses jambes, sans efforts, et sans faire une vague, ; elle traçait ainsi son sillage à une vitesse étonnante, le visage tourné vers le ciel.
Elle songea alors à l’organisation de sa journée :
- 8 heures : repas d’algues et de fleurs.
- 8 heures 30 : chants pour une bonne digestion.
- 9 heures : réunion pour décider de la répartitions des tâches quotidiennes au fil de la journée.
- Les soins dans les fontaines.
- Les travaux pour bâtir l’Arche d’Or ( récupération des branches dans les bois, menuiserie, élaboration d’un mastic à base de plantes et de glaise, échafaudage de la charpente).
- Activités d’orpaillage pour récupérer les paillettes d’or au bord des rivières
- Orfèvrerie pour travailler l’or qui recouvrira l’Arche.
- Les chants destinés à faire venir la pluie, et le soleil simultanément, car on ne construit pas une Arche sans la présence d’un Arc-en Ciel.
- La cueillette d’algues pour la nourriture, de fleurs pour les potions de soins, et d’herbes pour les incantations.
- Les ateliers d’astrologie pour déterminer de l’heure fatidique du départ de l’Arche d’Or.
- Des ateliers de calligraphie pour décorer l’Arche de formules secrètes et protectrices, et la pousser dans la bonne direction.
Bref, une journée bien remplie ! Satyneh aimait bien sillonner les sources, les cascades et les rivières avec ses amies les Fées, pour déboucher dans les fontaines où les attendaient les humains malades.
Mais elle préférait participer aux travaux de menuiserie. Là, elle retrouvait Talub, cet homme fort et mature qui lui glisserait furtivement des regards lourds de promesses. A l’occasion de leurs déplacements dans le travail, elle le sentirait passer tout prés derrière elle, son léger souffle chaud lui parcourant la nuque : frisson garanti, avec en surplus ce vague souvenir d’un monde de glace … où était-elle allée chercher ça…
Et, Talub, toujours très discret, lui glisserait un petit message dans sa ceinture.
Satyneh nageait toujours, voluptueusement, délicieusement plongée dans ses pensées.
Elle éviterait coûte que coûte les ateliers de confection de potions magiques.
Déjà, parce que la moindre effluve de ces concoctions lui faisaient tourner la tête dans tous les sens : elle était hyper sensible aux substances médicinales ; et elle n’aimait pas se retrouver dans un état de somnambulisme poisseux.
Ensuite, parce que c’était le Grand Mage qui présidait ces séances : à fuir également.
Si certaines étaient attirées par ses soi-disant puissants pouvoirs nocturnes ( elle soupçonnait plutôt l’attraction de sa fortune ), il n’en était rien pour elle.
Elle avait de l’aversion pour ses petits regards insistants. Et elle agissait envers lui à la limite de la correction : elle ne répondait ni à ses doucereuses paroles, ni à ses sulfureux coups d’œil.
Peu importe les pressions qu’il exerçait malhonnêtement sur elle pour obtenir son bon vouloir de prétentieux qui s’imaginait que tout lui était dû ; que tout s’achetait !
Un jour, Satyneh en était sûre, ses complots mesquins se retourneraient contre lui.
L’Ondine suspendit sa nage. Immobile dans l’eau, les évênements troublants de la veille ressurgir brusquement à sa mémoire, et elle en était à nouveau perturbée : comment avait-elle pu oublier ce matin ce qui c’était produit hier ?
Voilà :
Dans l’aurore frémissant, elle traversait le Lac à la nage, comme tous les jours.
Mais des algues s’enroulèrent autour de son corps, et l’entraînèrent vers les fonds.
Tout d’abord affolée, Satyneh s’était débattue, puis elle se calma et découvrit que toute la petite faune aquatique était en train de l’observer fixement, d’un air moqueur.
Les poissons ensuite tournèrent tous la tête en direction d’une pierre de forme rectangulaire, recouverte d’algues. Elle suivit leurs regards, et s’approcha du bloc rocheux, se demandant de quoi il s’agissait.
La roche était attaquée par l’érosion, incurvée en son centre comme un siège accueillant, mais recouvert de flore envahissante que Satyneh arracha tant bien que mal : sous les algues se cachait une entaille profonde dans la pierre, de la forme d’une lame : « on aurait dit qu’on avait planté une épée dans cette roche » songea-t’elle.
L’Epée légendaire ! Etait-ce seulement possible ? !
Dubitative, Satyneh s’installa sur la roche, atterrée par le double choc de sa découverte et des doutes qu’elle provoquait. Mais dés qu’elle fut assise, l’envie de sombrer dans un profond sommeil s’empara d’elle aussitôt.
Quelque chose la tira de sa somnolence, alors elle écarquilla les yeux de surprise à la vision de ce qui se déroulait devant elle :
Douze bulles d’air multicolores étaient disposées le long de son corps, et semblaient la regarder. Elles semblaient vivantes, et prenaient des formes ovoïdes de toutes sortes.
Puis elles s’élevèrent dans les eaux, comme emportées par les courants : elles avaient l’air de jouer avec. Enfin elles se regroupèrent en ligne devant la Fée, et firent un mouvement en forme de salut ; les 6 de droite partirent vers l’Est, celles de gauche vers l’ouest. A aucun moment Satyneh ne sut comment réagir devant cette scène extraordinaire.
Pourtant, elle n’était pas née de la dernière pluie !
En venant de repenser à ce fantastique événement, Satyneh se demanda ce matin-là si elle n’avait pas eu la berlue, la veille. Il faut dire qu’elle avait été très fatiguée par la veillée qui s’était prolongée tard dans la nuit. Elle voulut en avoir le cœur net, et plongea dans le Lac à la recherche de cette mystérieuse roche.
Elle la retrouva sans peine, à la même place que la veille. Immobile et somptueuse.
L’Ondine voulut à nouveau s’asseoir dessus, pour savoir ce qu’il allait se produire, mais elle ne le fit pas sans crainte.
Elle eut raison d’avoir peur : au lieu de sentir le contact froid et dur de la pierre, elle trouva du mou et du vide, elle sombrait dans de la vase, sans comprendre pourquoi. Elle fut happée par un tourbillon aqueux qui l’entraînait dans des profondeurs sans fin. Plus elle se débattait, plus elle était entraînée dans des remous visqueux et quasi irrespirables.
L’eau terreuse était devenue son ennemie et l’emportait vers d’autres mondes…
Elle regretta le moment où elle atteignait enfin une base solide : on aurait dit du carrelage froid.
Dernière édition par Invité le Lun 31 Jan, 2005 13:33, édité 1 fois au total.
|