L'esprit du tauren s'arrêta un instant dans son errance, reconstituant les dernières semaines, avec un goût tenace de poussière, ou en tout cas le souvenir de cette sensation disparue depuis sa fracture.
Le chef titulaire du clan HordE avait pris du repos, las, quelques jours auparavant. Il avait transféré ses prérogatives à l'esprit frappeur puis au jeune officier prometteur (qui avait même appris à aligner plusieurs mots au fil des années).
Les soldats de l'Alliance avaient été détectés très tôt, suite à l'effondrement du palais honorifique en l'honneur du vénérable clan des Mages de l'Apocalypse, entretenu et plusieurs fois rebati par la force et l'obstination de l'Ancien Orc-asme. Une fois leur besogne de démolition accomplie, les Alliés avaient fait mine de dégager le terrain. Mais l'esprit frappeur cornu n'était pas serein. Il avait repéré un indicateur laissant peu de place au doute en rodant vers le Sud Ouest du royaume troll, à quelques lancers de pierre du palais de la HordE, probablement l'ultime rescapé des assauts conjugués du temps et des ennemis. Un avant-poste du clan EOS. Il ne pouvait pas s'agir de celui utilisé pour l'invasion précédente, les belligérants étant arrivés du Nord des palais. C'était forcément plus récent. L'esprit alerta le clan de ce phénomène, et commença à le démanteler (ce qui lui permettait d’assouvir ses pulsions de destruction qui l'assaillaient depuis son passage de l'état solide à l'état gazeux). L'arrivée d'un compagnon d'arme permit de faire sauter ce portail d'invasion, mais le temps mis à le raser correspondit à la détection d'une colonne de soldats Hirdeor provenant d'un coin similaire. Ils n'avaient bien évidemment pas construit qu'un avant poste...
L'alerte fut donnée tandit que montait la maudite masse menaçante d'elfes et humains, laissant entrevoir quelques nains et gnomes dissimulés derrière la stature de leurs acolytes. Quelques soldats de la Horde étaient montés au rempart pour tenter de contenir l'attaque, mais bien peu nombreux, et peu expérimentés. Un officiel du clan alerta sur une faille dans les fortifications extérieures : des mastodontes en porte-étendard de la Lumière tenaient la brèche et interdisaient toute reconstruction, laissant les soldats du palais à la merci des sorts et armes de jet de l'Alliance. Les défenseurs tentèrent de répliquer, et se réfugiaient dans les ultimes fortifications hors d'atteinte. Le surnombre fut un facteur décisif, permettant aux assaillants de contourner toutes les issues et ne laissant aucune aire à l’abri.
L'esprit frappeur regardait ses compagnons se faire descendre uns par uns. L'espoir n'était pas encore mort, des missives avaient été envoyés aux combattants hordeux encore en activité, une contre-offensive allait arriver. Les palissades de chaque accès ayant été démantelées et tenues par plusieurs squatteurs vindicatifs et suréquipés. Même si le terrain, la distance au ravitaillement était sensée être en faveur de la formation hordeuse, la léthargie avait fait trop de dégâts dans leurs rangs, et cette attaque de l'Alliance n'était finalement qu'un révélateur de cette catatonie collective contre laquelle seule une aide extérieure pouvait lutter, redonner foi et fulgurance à cette défense pour l'honneur de la Horde. Le temps que ce renfort arrive, l'ordre fut donné de se replier au sud-ouest du royaume troll. Ce qui devait donner un couvert aux trolls et laisser les autres à proximité, sans être trop exposés. Ce fut le point indiqué aux renforts pour qu'une attaque commune puisse être menée.
Le palais avait été fui, à part deux autres soldats inconscients qui refusaient de quitter les lieux. L'ombre de LemHur eut une réminiscence, de deux autres fois où il avait erré dans ces couloirs déserts emplis de poussière, tandis que des chocs sourds faisaient trembler les fondations de leur foyer. Par deux fois ils avaient rebâti le bâtiment, et même s'il était trop tôt pour l'admettre, une troisième fois allait sans doute devenir nécessaire.
Pour tuer le temps, étant tout à fait conscient qu'il n'était pas beaucoup plus apte à tuer un assaillant que lorsqu'il était vivant, l'esprit se dirigea vers la tour la plus haute, celle qui renfermait les armes de tir en batterie. Il n'était jamais entré dans cette pièce depuis la reconstruction du palais, et visiblement c'était le cas de l'ensemble du clan. Il fallait avouer que les armes présentes paraissaient ridicules, des jouets en comparaison de la carrure et de l'attirail des démolisseurs à l'ouvrage au pied des murailles. Mais la curiosité était la plus forte. Comme déconnecté de la menace de mort qui planait sur lui, à portée de sorts mortels qui pourraient le réduire à l'état de cendre éthérée si elles le voulaient, il s'installa sur le poste de tir et chercha la gâchette de tir. Le mécanisme grippé s'actionna dans un raclement de mauvaise augure, et huit flèches passablement rouillées fusèrent en direction de la masse de l'Alliance. Quelques bruits de surprise (voire de douleur si on voulait y croire) rebondirent jusqu'à lui. Le système automatique fonctionnait... Il continua à envoyer des salves pour éprouver le système, et se dit que s'ils avaient été à plusieurs pour activer le système ils auraient pu parvenir à quelque chose.
Quand il ne fut plus en état de faire tourner les balistes, il examina les armes de tir et se rendit compte qu'il ne s'agissait pas des systèmes les plus puissants. Un prospectus pour un artisan gobelin traînait à côté d'une des armes, sûrement le nom de celui qui les avait installées. On pouvait y lire les tarifs exorbitants qu'il demandait (plus précisément "encore plus exorbitants que d'habitude") pour cette installation. Le sous-titre "disponible 26 heures sur 26" le fit hésiter un instant, après tout c'était faisable, le palais n'était pas encore totalement effondré. Une petite étincelle de lucidité lui fit reconnaître qu'il était déraisonnable d'investir quasiment tout le trésor de clan dans un gadget qui n'allait pas foncièrement augmenter les chances de survie du bâtiment. L'esprit grimaça, n'appréciant pas être freiné dans ses élans sanguinaires, surtout pas par lui-même. Il s'assit entre les balistes encore chaudes pour piquer un somme pendant que le bâtiment tremblait sous les coups de bélier. Il resta ainsi quelques jours, entre la tour aux balistes, l'armurerie et l'auberge, en fonction des sorts perdus qu'il recevait parfois. Il savait que quand sa bourse serait à sec, il devrait partir. Les taverniers et artisans qui s'installaient dans les palais de clan avaient pour fâcheux penchant d'être incorruptibles en plus d'être intransigeants sur les horaires d'ouverture. Même pas de quoi faire une petite ardoise pour une situation critique comme celle de la survie du bâtiment qui assurait leur subsistance...
Lorsqu'il s'enfuit une nuit après avoir arrosé une dernière fois les assaillants de flèches plus mesquines que douloureuses, la muraille principale du palais était déjà largement attaquée. Il savait que s'ils voulaient éviter de devoir tout reconstruire, la réaction devait être rapide et chirurgicale. Une fois arrivé au point de rendez-vous, l'ancien tauren comprit qu'ils avaient fait une erreur cruciale dans la stratégie de réaction à l'attaque, en définissant un point à proximité du royaume troll. Non seulement les non-trolls étaient à la merci des assassins de l'Alliance, mais même ceux qui s'étaient terrés dans le royaume se faisaient quand même attaquer par l'intérieur du royaume, les trolls n'étant plus assez réactifs pour dégager des intrus humains qui tuaient les leurs. Et pour saboter encore un peu plus toute formation de résistance, des tirailleurs trolls autonomes tuèrent des hordiens non-trolls dangereux mais fragiles. Finalement, même l'arrivée de fidèles hordeux répondant à l'appel à l'aide du clan ne permit pas d'organiser une défense efficace. Le palais s'effondra quelques jours plus tard.
|